Sur Internet, vos données ne vous appartiennent plus tout à fait. À chaque clic, vous laissez des fragments de votre identité derrière vous – parfois pour toujours. Alors peut-on encore espérer reprendre le contrôle de sa vie privée quand on surfe sans s'en soucier depuis des années ? La réponse est oui, c’est possible… mais rarement simple et à condition d'en connaître les limites.

On voudrait croire qu’Internet nous rend plus libres. Qu’en quelques clics, on peut explorer, partager, commenter, sans avoir à rendre de comptes. Mais en réalité, chaque action nourrit une mécanique de surveillance, de profilage et de revente. Nos données y sont traquées, croisées, revendues. Et nos traces numériques, plus durables qu’on ne l’imagine.
Car ce que vous lisez, achetez, likez, géolocalisez ou tapez sur un moteur de recherche ne disparaît jamais vraiment. Des réseaux sociaux aux messageries, en passant par les applis mobiles, les forums ou les sites de e-commerce, nous laissons chaque jour derrière nous une empreinte difficile à effacer. Sexe, âge, situation professionnelle, habitudes d’achat, géolocalisation, historique de navigation, interactions sociales : tout est collecté, stocké, agrégé. Et ce sont souvent les autres qui en tirent profit.
Qui surveille vos activités en ligne, et dans quel but
La surveillance sur Internet ne se limite pas aux services de renseignement. On pense d’abord aux sites web et aux plateformes qui récoltent nos données. Mais la liste des entités capables de surveiller les activités en ligne est bien plus longue.
Fournisseurs d’accès, annonceurs, éditeurs d’applications, plateformes sociales ou pirates informatiques, tous peuvent accéder à des données sensibles. Et les exploiter à des fins commerciales, de profilage ou de fraude.
Les fournisseurs d’accès à Internet (FAI)
Premiers maillons de la chaîne, les FAI attribuent à chaque appareil connecté une adresse IP publique, fixe ou dynamique, qui agit comme un identifiant unique. Grâce à elle, ils peuvent savoir qui se connecte, quand, depuis quel appareil, avec quel navigateur, et vers quels sites. En France, ils sont tenus par la loi de conserver ces données pendant un an, à disposition des autorités sur réquisition judiciaire.
Les sites web et les annonceurs
Ces deux-là travaillent généralement en tandem. Au cours d’une session web, la plupart des sites collectent de nombreuses données personnelles relatives à l’identité et au comportement des utilisateurs (adresse IP, coordonnées, pages visitées, liens cliqués). Revendues à des annonceurs, elles leur permettent de déployer des campagnes publicitaires ciblées. C’est ainsi qu’après avoir lu un article, une régie publicitaire commune à plusieurs entreprises peut proposer des publicités identiques sur plusieurs sites et services sans lien apparent.
Il en va de même pour les adresses mail saisies dans certains formulaires ou à la création de comptes : cédées aux annonceurs, elles sont ensuite intégrées à un fichier clients et font l’objet de spams promotionnels.
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD), applicable depuis 2018, vise à encadrer ces pratiques. Mais dans les faits, la pression à l’acceptation des cookies, les interfaces biaisées et les pratiques de contournement diluent son efficacité. Dans certains cas, des sites peu scrupuleux continuent de monétiser les données collectées sans réel consentement.
Certaines entreprises croisent également les données collectées en ligne avec des informations issues du monde physique : achats en magasin, cartes de fidélité ou données de géolocalisation captées par d’autres appareils peuvent enrichir un profil numérique à l’insu de l’utilisateur.

Les applications mobiles
Souvent trop gourmandes en autorisations, certaines applications mobiles accèdent à bien plus d’informations que nécessaire : géolocalisation, carnet de contacts, photos, micro, Bluetooth, voire SMS. Bien que les systèmes d’exploitation proposent aujourd’hui des réglages plus fins pour contrôler ces accès, il reste fréquent que certaines applis refusent de fonctionner sans l’ensemble des permissions activées.
Les hackers
Ce n’est une surprise pour personne : les cybercriminels représentent clairement une menace pour la sécurité des données personnelles. On ne parle plus seulement d’identification de l’utilisateur et de pistage de ses visites, mais de vols d’identifiants, de mots de passe, de numéros de carte bancaire. Un siphonnage de données qui peut conduire au piratage d’une ancienne boîte mail pour les situations les moins extrêmes, à l’usurpation d’identité et à tout ce que cela entraîne dans les cas les plus graves : pillage de comptes bancaires, transactions frauduleuses, infractions et crimes commis au nom de l’utilisateur piégé.
S’ils peuvent aisément s’introduire sur les réseaux privés domestiques, la plupart des hackers n’iront pas plus loin que sur les réseaux publics. Mine d’or d’informations non chiffrées, les Wi-Fi gratuits que l’on trouve dans les cafés, les restaurants, les écoles, les entreprises, les hôtels, les aéroports, sont tout sauf sécurisés. N’importe quel individu mal intentionné est en mesure d’intercepter le trafic et d’aspirer les données de connexion comme de saisies.
Des solutions d'appoint qui ne protègent pas autant qu'on voudrait bien le croire
Pour se prémunir de la surveillance en ligne, beaucoup misent sur des solutions faciles à activer et présentées comme protectrices. Mais si elles permettent de limiter certaines formes de traçage, leur efficacité reste souvent surestimée.
Navigation privée, faux sentiment de sécurité
Conscients des risques auxquels sont exposées les données qui transitent en ligne, d’aucuns se tourneraient vers la navigation privée. Aisément accessible depuis tous les navigateurs existants, ce mode serait la réponse simple et idéale au pistage et à la collecte des informations personnelles. Mais la réalité est toute différente.
La navigation privée permet aux internautes de surfer incognito localement. L’historique de navigation, les cookies, les données de sites et les informations saisies sont automatiquement supprimés du navigateur une fois la fenêtre fermée. En d’autres termes, les autres utilisateurs de l’appareil n’auront jamais accès au détail de l’activité.
En revanche, ouvrir une fenêtre de navigation privée n’empêche ni l’enregistrement des favoris, ni la conservation des téléchargements. Par là même, le FAI continue d’accéder à l’adresse IP de l’utilisateur et de loguer ses données de connexion, tout comme les sites web et les administrateurs système traquent ses activités en ligne.
VPN, utile mais pas miraculeux
D'autres, encore, préfèrent se tourner vers des outils comme les VPN (réseaux privés virtuels), qui chiffrent le trafic et masquent l’adresse IP réelle. Concrètement, le VPN agit comme un intermédiaire entre l’utilisateur et Internet. Il chiffre les données sur l’appareil, les transmet via un tunnel sécurisé à ses propres serveurs, puis les redirige vers la destination finale en attribuant une nouvelle IP.
Le FAI ne peut plus accéder au contenu de votre navigation, mais il peut toujours détecter l’usage d’un VPN et enregistrer les horaires de connexion. De leur côté, les fournisseurs VPN déchiffrent les données sur leurs serveurs avant de les rediriger : c’est là que la question de la confiance entre en jeu. Si des journaux de connexion sont conservés, même partiellement, l’anonymat reste théorique.
Certaines entreprises assurent ne conserver aucun log, mais il est souvent difficile de vérifier ces affirmations. Des audits indépendants peuvent apporter des garanties, mais tous les services ne s’y soumettent pas. D'autres ont déjà été épinglés pour avoir enfreint leur propre politique de confidentialité. La confiance reste donc un critère central.
Pratique, mais imparfait, le VPN reste un outil parmi d’autres. À lui seul, il ne suffit pas à garantir l’anonymat en ligne, mais peut fortement contribuer à renforcer sa vie privée – à condition de savoir ce qu’on lui demande… et ce qu’il ne peut pas faire.
Traquer ses données privées en ligne pour les supprimer : une quête sans fin ?
Lorsqu’il ne s’agit plus seulement de limiter la collecte, mais d’effacer ce qui a déjà été enregistré, le combat devient plus ardu. Réseaux sociaux, moteurs de recherche, plateformes diverses : reprendre le contrôle exige méthode, persévérance et recours légaux.
Retrouver ses données personnelles en ligne
La première étape consiste à identifier ce qui circule à votre sujet. Rechercher son nom, ses pseudos ou ses adresses email sur les principaux moteurs de recherche permet déjà de cartographier une partie de son empreinte numérique. Des services comme JustDeleteMe facilitent ensuite le repérage des comptes encore actifs en répertoriant les formulaires de désinscription sur des centaines de plateformes.
Sur les sites qui ne proposent pas d’option de suppression directe, il reste possible de contacter l’éditeur via un formulaire ou les mentions légales.
Réseaux sociaux et plateformes web : effacer ce qui peut l’être
Facebook, X (ex-Twitter), Instagram, TikTok, LinkedIn et consorts sont des machines à collecter des données. Même une simple interaction – un like, un commentaire, une vidéo regardée – peut enrichir votre profil publicitaire. Et si vous ne limitez pas l’accès à vos informations via les paramètres de confidentialité, elles deviennent consultables par tous, moteurs de recherche compris.
Supprimer un compte reste possible, mais rarement instantané. Certaines plateformes imposent un délai de rétractation de 30 jours, et la suppression définitive peut prendre jusqu’à 90 jours. D’autres conservent des données anonymisées pour des finalités statistiques. Dans tous les cas, mieux vaut consulter les paramètres de chaque service pour restreindre ce qui est affiché publiquement.
Quand la suppression n’est pas possible : demander un déréférencement
Tout ne peut pas être effacé. Certains contenus sont hébergés sur des sites peu coopératifs ou situés hors juridiction européenne, ou conservés volontairement pour des raisons d’intérêt public. Dans ces cas-là, le déréférencement peut apporter un début de solution : il permet de faire disparaître un lien des résultats de recherche, même si l’élément reste accessible à la source.
Il faut alors contacter le site, demander la suppression ou la modification des données, ou, à défaut, déposer une demande de retrait auprès des moteurs de recherche. Les mentions légales doivent en principe indiquer un point de contact.
Quand il ne reste plus que le droit : le RGPD et la CNIL à la rescousse
Quand les démarches individuelles échouent, quand les éditeurs font la sourde oreille et que les contenus restent en ligne malgré vos demandes, il ne reste qu’un recours : la loi. En Europe, les internautes disposent de droits concrets pour encadrer l’usage de leurs données à caractère personnel, demander leur suppression ou s’opposer à leur exploitation. Encore faut-il les connaître… et savoir comment les activer.
Connaître ses droits garantis par le RGPD
On l’a rapidement évoqué un peu plus haut, mais le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis 2018 dans toute l’Union européenne, impose aux entreprises une série d’obligations strictes sur la collecte, le traitement, la conservation et la sécurisation des données à caractère personnel.
Pour les personnes concernées, il garantit plusieurs droits fondamentaux :
- le droit d’accès à ses données,
- le droit de rectification,
- le droit à l’effacement (ou droit à l’oubli),
- le droit à la limitation du traitement,
- le droit d’opposition,
- et le droit à la portabilité des données.
Parmi tous ces droits, un en particulier cristallise les attentes : le droit à l’oubli. Car c’est souvent celui que l’on invoque lorsqu’on cherche à faire disparaître une information gênante ou obsolète.
Reconnu par la Cour de justice de l’Union européenne en 2014 et inscrit dans le RGPD, il permet à toute personne de demander la suppression de données personnelles la concernant lorsqu’elles ne sont plus nécessaires, ont été traitées de manière illicite ou portent atteinte à sa vie privée. Il peut prendre la forme d’un déréférencement de contenus sur les moteurs de recherche, d’une suppression de compte, ou d’un retrait d’informations directement sur un site tiers. Ce droit n’est pas absolu : il doit être mis en balance avec la liberté d’expression, l’intérêt public ou le droit à l’information. Mais il constitue un levier essentiel pour reprendre la main sur sa présence numérique.
Toute personne peut donc demander à une entreprise quelles données elle détient sur elle, en exiger la suppression ou s’opposer à certains usages (profilage, prospection commerciale…). En cas de non-respect de ces droits, la CNIL peut être saisie pour faire appliquer le règlement.
La CNIL, dernier recours pour faire appliquer vos droits
Lorsqu’un éditeur ou une plateforme refuse d’exécuter une demande légitime, ou ne répond tout simplement pas, il est possible de saisir la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Cette autorité administrative indépendante peut intervenir pour faire valoir votre droit à l’effacement ou à l’opposition, en particulier lorsque la publication nuit à votre réputation, votre vie privée ou vos perspectives professionnelles.
La démarche est gratuite, mais doit être motivée. Une plainte peut être déposée via un formulaire en ligne, en joignant les preuves des tentatives de contact ou des refus essuyés. Si la CNIL estime la demande fondée, elle peut contraindre l’entreprise à modifier ses pratiques, effacer les données, ou même infliger des sanctions.
Entre surexposition et contrôle absolu, un équilibre à (ré)inventer pour reprendre la main sur sa vie privée en ligne
À l’échelle individuelle, il est possible de limiter la surveillance, sans pour autant s’en affranchir totalement. Refuser les cookies non essentiels, passer par des navigateurs alternatifs, configurer les permissions des applications ou utiliser un VPN font partie des réflexes à adopter. Mais ces gestes, à eux seuls, restent souvent insuffisants face à la structure même du web, construite sur la collecte, le traçage et la monétisation des comportements.
La question de la vie privée en ligne dépasse largement le terrain des outils techniques. Elle engage nos usages, interroge les modèles économiques des plateformes et renvoie aux cadres juridiques censés les encadrer. Raison de plus pour ne pas céder à l’illusion d’une protection totale, et rester lucide sur les limites de chaque solution.
Reprendre le contrôle, ce n’est pas disparaître du web. C’est apprendre à y exister autrement, en y laissant le moins de soi possible.
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