Tesla Model S : j'ai parcouru 1000 km au pilote automatique

09 décembre 2015 à 13h37
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Retour sur 72 h et 1 000 km au volant de la Tesla Model S, une voiture irrationnelle qui fait rêver malgré ses contradictions.

Lorsque nous avons été visiter la nouvelle usine européenne de Tesla, aux Pays-Bas, le mois dernier, le constructeur automobile ne nous a pas fait voyager en train ou en avion. Je m'y suis rendu en Model S, naturellement.

Le constructeur venait justement de lancer le pilote automatique en France. J'ai ainsi parcouru environ 1 000 km derrière le volant, dont une grande partie en automatique.

En mai dernier, nos confrères de Turbo.fr ont essayé la Tesla Model S en tant que voiture, comme alternative électrique à de luxueuses routières traditionnelles.

Je vous livre quant à moi le retour d'un spécialiste des nouvelles technologies, en l'abordant par l'autre versant, c'est-à-dire en tant que technologie roulante.

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Premier contact : entre smartphone et jeu vidéo

Mon approche technologique s'est manifestée aussitôt après m'être installé derrière le volant. Avant même de m'intéresser à l'habitacle, au fauteuil ou aux commandes, je me suis tourné vers le virtuel et je me suis penché sur le fameux écran central de 17 pouces (43 cm).

Au travers d'une interface semblable à celle d'un smartphone ou d'une tablette, on peut créer son profil conducteur, pour enregistrer puis restaurer facilement la multitude de réglages à disposition (les positions du fauteuil, du volant et les réglages de conduite sont propres à chaque conducteur).

J'ai notamment désactivé le rampage, un réglage dont j'ai constaté l'effet quelques instants après, en prenant la route.

On l'a vu lors de la visite de l'usine d'assemblage de Tilbourg, la Model S bénéficie d'une conception minimaliste. Ainsi, les rares commandes physiques sont rassemblées sous la forme de commodos autour du volant. Y compris le levier de vitesse, comme sur d'autres voitures traditionnelles américaines, cette fois ce n'est pas une spécificité de cette voiture.

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Clé sans contact dans la poche, pied sur le frein, on enclenche la marche avant d'une pression de ce levier vers le bas. En l'occurrence, le frein n'est qu'une sécurité, qui garantit qu'on ne quitte pas la position « parking » sans personne au volant. C'est qu'il n'y a pas de commande séparée pour le frein à main.

Mais à plat, rampage désactivé, la voiture reste immobile. Comme dans un jeu vidéo ! Le « rampage », activé par défaut, permet de retrouver le comportement d'une voiture thermique à boîte de vitesse automatique, qui avance doucement lorsque la pédale de frein est relâchée. Sur une Model S, qui est dépourvue de boîte de vitesse et sur laquelle les moteurs sont reliés directement aux roues, ce comportement est artificiel, il est simulé.

Premiers tours de roues en ville

Le représentant de Tesla qui m'accompagne a entré notre destination sur l'écran de 17 pouces : l'usine de Tilbourg, à 430 km de là. Lors du calcul de l'itinéraire, une étape a été ajoutée automatiquement au Superchargeur de Lille. La vue satellite occupe désormais la totalité de la console centrale, mais je consulterai essentiellement les instructions plus schématiques, plus lisibles, qui sont reprises derrière le volant, sur l'écran qui remplace les compteurs.

C'est parti. Sans surprise, la circulation en ville est extrêmement silencieuse. À allure normale, on distingue à peine le sifflement caractéristique des moteurs électriques. Il faut en revanche se réadapter au puissant frein moteur, qui permet de récupérer de l'énergie. Lâcher l'accélérateur revient à freiner assez fort. D'ailleurs, les feux stop s'allument, la représentation de la voiture sur le combiné (derrière le volant) en témoigne.

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La clé sans contact, sur laquelle on peut appuyer pour déverrouiller l'auto, ouvrir le coffre avant ou le coffre arrière

Tout au long de mon essai, j'utiliserai finalement très peu la pédale de frein. Seulement pour les tout derniers mètres avant l'arrêt complet. Mais même à l'heure de pointe à Paris, dans toutes sortes de situations, tel que pour contourner d'autres usagers à très faible allure, on peut maitriser sa vitesse, de 5 à 50 km/h, seulement avec la pédale d'accélérateur. Ce qui contribue largement au confort, en particulier pour les passagers, qui subissent les actions du conducteur : il n'y a plus de délimitation franche entre la phase d'accélération, celle de roulage en prise puis celle de freinage, c'est fluide.

À l'inverse, l'accélération puissante et linéaire, ininterrompue (il n'y a qu'un seul rapport de vitesse), confère à ce paquebot de 5 mètres et de 2,2 tonnes une certaine agilité. À condition que la largeur le permette, on se surprend à s'extirper de certaines situations aussi rapidement que les deux-roues, sans forcer.

L'autoroute : comme sur des rails

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Mais c'est sur autoroute et assimilés (voies rapides) que les technologies futuristes de la Tesla Model S entrent en action.

Équipée d'une caméra et d'un radar frontaux, la voiture identifie les lignes et sait à quelle distance se trouve le véhicule précédent. C'est suffisant pour offrir un régulateur de vitesse adaptatif mais aussi et surtout des fonctions « Autopilot » de maintien dans une file et de changement automatique de voie, qu'on qualifie avec enthousiasme de pilote automatique.

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Ces fonctions s'actionnent à l'aide du second levier à gauche du volant, sous le levier du clignotant.

En le tirant une fois, on enclenche le régulateur adaptatif, fonction qu'on trouve depuis quelques années sur des voitures traditionnelles. On définit une vitesse maximale, en actionnant ce levier de haut en bas, vitesse que la voiture maintient tant que la voie est libre. Elle ralentit et réaccélère automatiquement en fonction de la voiture précédente, si nécessaire jusqu'à l'arrêt. L'extrémité du levier est rotative afin d'ajuster la distance à maintenir avec le véhicule précédent, exprimée en secondes, de 1 à 7 s.

Malheureusement, bien que la caméra frontale identifie les panneaux de limitation de vitesse et les reproduise sur le combiné, le système ne propose pas d'ajuster automatiquement la vitesse du régulateur. C'est là l'un des principaux freins à une conduite vraiment autonome. Il n'y a tout simplement pas de fonction de limiteur de vitesse sur la Model S, même manuelle.

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En tirant deux fois d'affilée le levier précité, soit après avoir enclenché le régulateur, soit directement, on active l'« assistance au maintien de cap ». On découvre alors une sensation inédite : la voiture ajuste aussitôt sa position dans la file et durcit la direction. On a l'impression déroutante, au propre comme au figuré, d'être sur des rails.

Mais alors que les berlines concurrentes (Audi A8, BMW Série 7, Mercedes Classe S...) font toutes plus ou moins 190 cm de large, la Tesla Model S en fait 30 de plus, 220 cm ! Précisément centrée dans sa file, la Model S ne passe pas loin des camions qu'elle dépasse. Il faut quelques dizaines de kilomètres avant d'accorder sa confiance au pilote automatique. Mais même après 1000 km, on garde une certaine appréhension et une grande vigilance à l'approche de semi-remorques ou de certains autres usagers imprécis. Il m'est arrivé de forcer le volant et de reprendre le contrôle, pour augmenter les marges. Car en dépit des capteurs latéraux qui détectent la grande proximité d'un obstacle, la voiture n'ajuste pas sa position au sein d'une file.

Néanmoins, si ce n'était pas interdit par le code de la route, j'aurais pu parcourir des centaines de kilomètres dans la file du milieu sans jamais interférer avec le pilotage automatique. Techniquement, rien ne m'aurait empêché de lâcher le volant et de vaquer à d'autres occupations : chercher de la musique sur le service de musique à la demande Rdio (fermé depuis), ou sur le catalogue de webradios TuneIn, et même naviguer sur internet.

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En pratique, on dépasse et on se rabat de manière semi-automatique. Il suffit d'enclencher ou de maintenir le clignotant dans la direction souhaitée pour que la voiture change de file automatiquement. Mais ses capteurs à ultrasons, les mêmes que pour un radar de recul traditionnel, ne voient qu'à 5 m autour de la voiture. C'est donc le conducteur qui contrôle et décide du mouvement.

Dans l'ensemble, le pilote automatique remplit sa fonction, de jour, de nuit ou même en contrejour, tant qu'il y a une ligne de part et d'autre de la voiture. Il y a quelques rares situations dans lesquelles il est mis en défaut. Le pilote automatique refuse par exemple de franchir certaines lignes de dissuasion, telles que celles qui séparent la file de droite de la suivante aux abords des bretelles de sorties, alors que c'est autorisé par le code de la route. À l'inverse, à l'approche d'une bretelle, la voiture suit une fraction de seconde la ligne continue qui longe la sortie, avant de se réajuster sur la ligne pointillée qui se poursuit alors sur l'autoroute.

Sa fonction est néanmoins relativement limitée. Le pilote automatique déleste le conducteur de l'exécution, ce qui est bienvenu dans des situations de conduite machinales telles que sur l'autoroute, mais l'humain doit rester concentré 100% du temps et prendre toutes les décisions. En l'état, inutile d'espérer rêvasser sur l'autoroute, à moins que la voie ne soit vraiment libre, ce qui est excessivement rare. En définitive, la seule situation dans laquelle l'autopilot représente un vrai soulagement, c'est dans un bouchon. On peut alors « faire salon » le temps qu'il se résorbe, au lieu de s'impatienter derrière le volant.

L'autonomie : la contradiction

L'autonomie reste la problématique principale d'une voiture 100 % électrique. En dépit de ses 700 kg de batteries, la Tesla Model S ne fait pas exception.

Cet aspect de cette berline sportive soulève même une grande contradiction : la cohabitation impossible entre ses performances et son autonomie.

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Effectivement, j'ai parcouru les premières dizaines de kilomètres vers Tilbourg à 130 km/h, à la vitesse maximale autorisée. Mais j'ai dû passer à 125 km/h un moment car la courbe d'estimation de l'autonomie, qui tient compte de la météo tout au long du parcours, laissait trop peu de marge de sécurité.

Rouler en dessous des limitations de vitesse avec plus de 500 cv à bord, le meilleur taux de pénétration et le couple le plus élevé du segment, quelle ironie !

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Pour « faire le plein » à mi-chemin, on se rend à l'une des 30 stations Superchargeur de France. Une grande partie se trouvent sur les parkings d'hôtels du groupe Accor. Il faut donc sortir de l'autoroute et faire quelques kilomètres en zone d'activité.

Une fois branchée, la voiture affiche à l'écran... « 540 km/h ». C'est la vitesse à laquelle elle se recharge. Ces bornes de charge rapide, spécifiques à Tesla, délivrent 240 A à 375 V ! On entend d'ailleurs un bruit électrique et la voiture est ventilée pendant la charge. La fée électricité est bel et bien là.

Sur une prise électrique domestique, la vitesse de charge n'est que de 13 km/h. Mais ici, il faut moins d'une heure pour regagner l'autonomie maximale. On peut en profiter pour déjeuner, par exemple. En l'occurrence, à peine le temps de boire un café que l'application mobile me prévenait que le niveau de charge était suffisant pour atteindre notre destination. En attendant de payer et de regagner la voiture, j'avais lancé le préchauffage de l'habitacle. Une fonction simple mais appréciable.


Quotidien citadin : l'autre contradiction

Rentré de Tilbourg, la Model S m'a accompagné dans mes trajets citadins quotidiens pendant 48 h supplémentaires. À Paris, pas question d'effectuer un 0 à 100 km/h en 3 s avec l'accélération « démesurée ». De toute manière, dans la continuité de la contradiction précitée, on viderait les batteries trop vite.

Néanmoins, comme je l'évoquais plus tôt, les quatre roues motrices et la puissance maximale disponible instantanément permettent de se catapulter à 50 km/h, au point que la vue se voile momentanément. Sans jouer les vaisseaux spatiaux à chaque feu vert, on peut ainsi extraire les 10 mètres carrés de la voiture d'une circulation dense et rouler plus sereinement jusqu'au prochain feu rouge, devant le peloton.

Dans les petites rues des quartiers animés, il faut parfois manœuvrer (recourir à la marche arrière et à la caméra de recul) pour prendre un virage au milieu des voitures mal garées. Et dans les parkings souterrains des quartiers chics, il faut manœuvrer avec la plus grande précaution, la voiture passe souvent les portiques au chausse-pied. Les radars virent fréquemment au rouge sans qu'on puisse faire autrement, que ce soit dans un parking ou en circulation.

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Une voiture irrationnelle pour voyager dans le futur

En somme, ni vraiment à l'aise en ville, ni vraiment indiquée en tant que routière, la Tesla Model S n'est pas une voiture rationnelle. Pourtant, on lui pardonne son gabarit d'américaine, le grincement de sa pédale de frein, de ses suspensions, le manque d'unité des interfaces de ses deux écrans, et d'une manière générale ses contradictions. C'est la contrepartie de l'effet grisant de son accélération inédite et de son pilote automatique. Et c'est à prendre ou à laisser, puisqu'elle reste sans équivalent sur le marché.

Développée par et pour des technophiles, la Model S est certainement le meilleur moyen à ce jour de se téléporter dans un futur, certes proche, mais dans le futur néanmoins. Et c'est un argument suffisant pour certains conducteurs, moi le premier. Je ne compte pas investir plus de 70 000 euros dans une voiture, j'attends de pied ferme la future Model 3, que Tesla devrait annoncer en mars 2016 et qui, aux dernières nouvelles, devrait coûter à partir de 35 000 euros.


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Romain Heuillard

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C'est vers l'âge de 12 ans, lorsque j'ai reçu mon premier ordinateur (un Pentium 100), que j'ai décidé d'abandonner ma prometteuse carrière de constructeur de Lego pour me consacrer pleinement à ma nouvelle passion pour l'informatique. Depuis je me suis aussi passionné pour l'imagerie en général et pour la photo en particulier, mais je reste fan de sujets aussi obscurs que les procédés de fabrication de composants électroniques ou les microarchitectures de processeurs, que l'infiniment grand et l'infiniment petit. Je suis enfin foncièrement anti-DRM et pro-standards ouverts.

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