Amazon n’est pas seulement un géant du commerce en ligne, en tout cas, de moins en moins. Depuis plusieurs mois, l’entreprise pose méthodiquement les pièces d’un puzzle financier qui redessine son rôle dans l’écosystème numérique de l'Inde.

Avec l’acquisition d’Axio, validée en septembre par la Reserve Bank of India, Amazon s'apprête à prendre un tournant. Elle lui offre désormais un accès direct au crédit en ligne et une capacité d’action rarement accordée aux acteurs technologiques étrangers. Ce mouvement ne passe pas inaperçu : analystes et régulateurs scrutent de près les ambitions d’Amazon, qui s’aventurent bien au-delà du simple paiement en ligne.
Un virage stratégique vers le crédit et le financement
Avec Axio, anciennement Capital Float, Amazon récupère un spécialiste du prêt en ligne qui a déjà servi plus de dix millions de clients en Inde. Les deux entreprises collaboraient depuis six ans pour alimenter Amazon Pay Later ; leur rapprochement scelle une intégration verticale qui change d’échelle. L’objectif est explicite : étendre l’accès au crédit, dans un pays où seuls un client sur six bénéficie de solutions de financement à l’achat, selon Amazon.
L’entreprise s’apprête également à relancer le financement des petites entreprises, un segment crucial sur lequel Axio opérait avant de se concentrer sur le paiement différé. Amazon prévoit ainsi des offres de prêts "sur mesure" pour les marchands, combinant scoring comportemental, données transactionnelles et outils de gestion de trésorerie. Autrement dit, c'est une manière de transformer sa marketplace en plateforme financière complète.
Cette démarche n’a d'ailleurs rien d’anecdotique. Dans un marché du crédit à la consommation qui est passé de 80 à plus de 200 milliards de dollars en cinq ans, les géants du commerce en ligne disposent d’un avantage structurel sur les banques traditionnelles. Ils contrôlent à la fois l’offre, la demande et l’interface numérique.
Une montée en puissance dans les paiements et l’épargne
Et surtout, le mouvement ne se limite pas au crédit. Amazon, dont l’application Amazon Pay fait partie des plateformes les plus utilisées pour les paiements quotidiens via UPI, l’infrastructure nationale indienne de transferts instantanés, propose désormais des dépôts à terme en partenariat avec plusieurs banques locales, accessibles dès 1 000 roupies. Une manière d’élargir son rôle dans la gestion financière du quotidien, en ajoutant une brique d’épargne à ses services.
Pour les experts du secteur, cette diversification n’a rien d’un test. Elle s’inscrit dans une stratégie globale, qui n'est autre que de transformer Amazon Pay en une plateforme financière à part entière, capable de couvrir le paiement, le financement et l’épargne. La banque centrale indienne (RBI) a ouvert la voie début 2025 en autorisant, début 2025, les filiales détenues entièrement par des entreprises technologiques à accorder elles-mêmes des prêts. Amazon a immédiatement saisi l’opportunité.
Reste une question, celle que se posent déjà plusieurs analystes : jusqu’où Amazon peut-il aller dans un écosystème bancaire indien très réglementé, et parfois méfiant envers les Big Tech ? Pour l’instant, le groupe avance avec prudence, s’appuyant sur des partenariats bancaires tout en consolidant ses propres outils. Mais à mesure que les frontières entre commerce, finance et technologie s’estompent, les banques traditionnelles pourraient bien voir émerger un concurrent d’un nouveau genre, capable d’atteindre des millions d’utilisateurs sans dépendre d’un réseau physique.
Ce qui est certain, c’est que la prochaine phase du commerce numérique en Inde ne se jouera plus uniquement dans les paniers d’achat, mais aussi dans les portefeuilles. Reste à savoir si un tel mouvement pourrait un jour s’esquisser en Europe… et en France.