Avec Make, Opera veut transformer son navigateur Neon en assistant créatif. Une promesse ambitieuse, des prompts en cascade… et des résultats parfois déroutants, comme un chatbot qui croit être un guépard.

Il y a un mois tout juste, Opera nous laissait entrevoir Neon, son nouveau navigateur boosté à l’IA, censé transformer la façon dont on interagit avec le web. Trois modules pour autant de promesses : Neon Chat pour discuter, Neon Do pour agir, Neon Make pour créer. Guillaume s’est attaqué à Do, celui qui réserve une table au resto ou commande des chaussettes sur Amazon sans poser les mains du clavier. De mon côté, j’ai préféré me concentrer sur Make, le générateur de projets web intégré au navigateur. Un outil censé coder à la volée des sites, des jeux ou des applis, sans l’aide de personne.
Je l’avoue, j’aurais pu faire simple. Prompter un Snake 2.0, jouer deux minutes, sourire devant cette queue-leu-leu de pixels qui zigzague, et conclure que Neon Make fonctionne plutôt bien. C’était d’ailleurs l’une des idées suggérées par les équipes d’Opera lorsqu’elles m’ont présenté le projet. Mais quitte à tester ce que Neon Make a réellement dans le ventre, je me suis dit que j’allais un peu corser les choses.
Le prompt de la démesure
Alors je tente le tout pour le tout, avec un prompt ambitieux – peut-être trop – où il est question d’un mini Zelda-like, un vrai, avec des monstres, des maisons, une clé à trouver, une porte à ouvrir, et même un système de points de vie dégradé d’un demi-cœur chaque fois que je prends un coup. Je veux aussi une carte en tileset, une atmosphère médiévale/fantastique et trois ambiances musicales différentes en fonction des situations rencontrés par mon personnage. Bref, un projet HTML5 qui ferait transpirer pas mal de développeurs juniors.
Je n’oublie pas non plus de demander des versions téléchargeables des fichiers nécessaires au projet pour les analyser a posteriori, histoire de voir ce qui fonctionne, mais surtout ce qui rate. Je lance ma requête, je croise les doigts et j’observe Neon Make à la tâche.
Première phase, la génération des assets graphiques. Dans ma fenêtre latérale, je vois défiler les sources utilisées, libres de droit, et je constate que Neon fouille méthodiquement aux bons endroits – OpenGameArt, itch.io, CraftPix, parfois même des dépôts GitHub spécialisés – pour glaner sprites, tuiles de carte, éléments d’interface et tout ce qui ressemble de près ou de loin à un morceau de donjon. Et je constate qu’il ne parvient pas à passer les CAPTCHA quand il y en a.

Deuxième round, les musiques. Là aussi, l’agent part en quête de trois morceaux MIDI – un pour l’exploration, un pour les combats, un pour la découverte d’objets. Neon sonde à nouveau les bibliothèques publiques, filtre les résultats par licence, se casse une fois de plus les dents sur les CAPTCHA, et m’annonce, au moment de compiler le jeu, qu’il n’a pas pu intégrer les fichiers : « liens non valides ou fichiers manquants ». Rien de bien grave, m’assure-t-il, je pourrai les intégrer manuellement dans le dossier du projet si nécessaire.
Dernière étape, la compilation du jeu. Pendant quelques minutes, les lignes de tâche s’enchaînent – création de la carte, logique de déplacement, détection des collisions, gestion des points de vie, système de clé et de porte, texte en français, et même un écran game over si je perds tous mes cœurs.
À l’issue du processus, Neon me confirme que le jeu est jouable, résume les consignes qu’il a respectées à la lettre, signale les erreurs qu’il a rencontrées, me propose de jouer dans le navigateur et me prépare un ZIP contenant tous les fichiers du projet.
Verdict ? Je clique sur le bouton de prévisualisation pour accéder à la version web du jeu. Et là… Disons qu’on n’est pas encore tout à fait en Hyrule.
Assembler, tester, corriger ? Connaît pas.
Je suis accueillie par un écran de bienvenue et un mini-didacticiel. Très bien. J’appuie sur une flèche. Mon personnage – un petit carré gris clair – se met en mouvement sur une carte sans fond. Me voilà propulsée dans une zone d’entraînement façon glitch, entre des maisons posées au hasard, des lignes noires qui bloquent parfois ma progression, mais pas toujours, et des adversaires identifiables uniquement parce qu’ils bougent. Les carrés jaunes font des allers-retours aléatoires, l’un d’eux me fonce dessus, je perds un demi-cœur – bingo, ce système-là fonctionne. Un grand rectangle gris commence à me suivre. Pas de doute, c’est aussi un ennemi. Je cours vers ce que je suppose être une clé – un carré gris foncé perdu dans un coin. Et enfin, j’atteins une longue tige verticale : la porte. À l’écran, le jeu me félicite : j’ai gagné. Ah. Je vous laisse tester.
J’ai bien tenté de lui demander de s’auto-corriger, chose qu'il est censé savoir faire, sans succès. Pour en avoir le cœur net, j’ai ouvert les fichiers générés et je comprends vite ce qui a coincé. Neon Make utilise exclusivement des images isolées, sans spritesheets ni animations, et sans logique de découpage ou d’assemblage. C’est valable pour les personnages comme pour les éléments de décor, y compris la carte, qui n’est pas construite à partir d’un tileset mais composée d’objets positionnés individuellement, sans structure sous-jacente. Les collisions sont bien codées, mais comme rien n’est organisé spatialement, je peux traverser des murs ou rester coincée contre des obstacles invisibles, sans raison apparente.
Bref, Neon Make a bien essayé de coder un Zelda-like, mais sans game designer, sans moteur de rendu et sans testeur, on obtient surtout un diorama cassé. L’intention est là, mais il manque l’assemblage, la logique et la cohérence. Et ça, l’IA ne sait pas encore le bricoler toute seule.
Deuxième chance, double peine
J’ai tout de même voulu lui laisser une seconde chance. J’ai reformulé mon prompt, viré les musiques, recentré l’objectif sur quelque chose de plus simple : un personnage, une clé, une porte, des cœurs, des ennemis. Neon Make s’est remis au travail, a replongé dans ses bibliothèques d’images, a une nouvelle fois échoué à franchir les CAPTCHA, puis m’a livré un nouveau jeu.
Cette fois, l’expérience est… radicale. Le décor se résume à un écran vert, je suis moi-même un carré vert, mes ennemis aussi. Ils tirent à vue, leurs projectiles fusent plus vite que je ne me déplace, et je meurs avant même d’avoir compris où aller. À chaque nouvelle tentative, tout va un peu plus vite, jusqu’à rendre la partie injouable. Un vrai die and retry minimaliste, mais sans le retry. Un die and die.
Là encore, vous pouvez essayer de vous y frotter. Âmes sensibles, s'abstenir.
Un chatbot, deux ambiances
Après avoir survécu au Zelda de l’angoisse, je me tourne vers quelque chose de plus calme, et je demande à Neon Make de me créer un chatbot. Une interface, une boîte de dialogue, quelques questions/réponses préprogrammées.
Et il s’en sort plutôt bien. L’interface est propre, le chatbot réactif, les bulles s’affichent comme prévu, l’échange est fluide. Il reconnaît une poignée de questions simples et répond de façon cohérente, à condition de lui demander exactement ce qu’il sait. Car si la question sort de sa liste de références, il improvise. « Comment t’appelles-tu ? » – « Le guépard est l’animal terrestre le plus rapide ». OK.
Je lui demande à nouveau de se corriger et reformule un prompt très clair : lorsqu’une question n’est pas reconnue, il doit répondre « Désolé, je n’ai pas compris », au lieu de piocher une phrase au hasard dans son jeu de réponses préprogrammées. Et là, moment d'émotion intense : il y arrive. Désormais, s’il ne comprend pas une question, il le dit franchement, au lieu de raconter n'importe quoi.
Le calme après la tempête, enfin
Puisqu’il faut savoir raison garder, je décide de revenir à quelque chose de plus élémentaire. Cette fois, je demande à Neon Make de me créer une simple application web de listing. Une interface basique avec un champ de saisie, un bouton d’ajout, une liste récapitulative, et la possibilité de supprimer des éléments au clic. En théorie, rien de compliqué.
Et là, surprise : tout fonctionne du premier coup. L’interface est claire, le champ de saisie réagit bien, les éléments s’ajoutent instantanément à une liste parfaitement lisible, les suppressions se font d’un clic, et le tout tient sur une seule page. Neon a même pris la peine de me fournir un petit mode d’emploi, en bas de l’écran. Tout est en anglais, cette fois. Dommage, le jeu et le chatbot avaient pourtant tout traduit sans avoir eu besoin de le spécifier. Mis à part ça, c’est propre, net, et exactement ce que j’avais demandé.
On n’y est pas, mais on y croit
Neon Make est encore en développement, et ça se sent. L’outil impressionne par moments, notamment quand il s’en tient à des projets basiques, bien cadrés, avec peu d’interactions. Mais dès que les consignes gagnent en densité, qu’il faut composer avec de vraies mécaniques de jeu ou comprendre un peu trop finement ce qu’on attend de lui, tout se grippe. L’ambition est là, mais l’IA grand public capable de remplacer un développeur, un game designer ou un intégrateur web, ce n’est clairement pas encore pour aujourd’hui.
Il faut dire que Neon en est encore à sa phase alpha, accessible uniquement sur liste d’attente, sans passe-droit pour les devs. Opera nous avait d’ailleurs prévenus : il y aurait des bugs. Et il y en a. Pourtant, malgré ses maladresses, l’outil sait faire des choses intéressantes. Le code généré n’est pas toujours exécutable, mais il est rarement absurde. Il y a une structure, des idées, un embryon de logique. Ce n’est pas rien.
Pour un aperçu un peu plus abouti du projet, je vous conseillerais d’aller lire les retours d’expérience sur Neon Do, l’autre agent IA intégré au navigateur et testé par Guillaume, qui semble, pour l’instant, bien mieux maîtriser son sujet. Et sinon, vous pouvez toujours explorer les possibilités d'Aria sur la version classique d'Opera.
PS : pour la science, j’ai quand même fini par prompter le fameux Snake, celui que j’avais écarté d’entrée de jeu parce que trop simple. Et vous savez quoi ? Ça n’a pas marché non plus. Je vous laisse apprécier.
- Speed Dial et barre latérale très efficaces
- Excellentes performances
- Environnement et fonctionnalités orientés productivité