Afin de respecter la réglementation du DMA au sein de l'Union européenne, Apple a dû ouvrir son système iOS aux navigateurs Web alternatifs. Au-delà de permettre la configuration d'une app tierce par défaut, les développeurs sont censés pouvoir utiliser leur propre moteur de rendu. Pourtant, aucun n'a tenté sa chance. Et ce n'est pas étonnant.

- Apple ne respecterait pas la réglementation du DMA concernant l'ouverture des moteurs de rendu
- Les développeurs font face à une longue série de freins techniques complexes.
- Apple tenterait de conserver le monopole de WebKit pour protéger son modèle économique actuel.
Le consortium Open Web Advocacy, militant pour un Web ouvert, explique que malgré le DMA, aucun moteur de rendu alternatif à Webkit n'a été porté sur iOS. Pourtant, Google et Mozilla avaient respectivement commencé le portage de leurs moteurs Blink et Gecko. Mais les contraintes techniques seraient particulièrement freinantes.
Une série de contraintes techniques
Selon l'OWA, Apple n'autoriserait pas de migration souple. La firme californienne contraindrait les développeurs à créer des applications entièrement nouvelles pour utiliser leurs propres moteurs de rendu. De fait, plutôt que de déployer une simple mise à jour, ils devraient abandonner leur base d'utilisateurs européens existante. Cela se traduit donc par des coûts pour les éditeurs.
Le framework BrowserEngineKit est l'élément-clé introduit avec iOS 17.4 et iPadOS 18. Cependant, son architecture impose une structure spécifique avec quatre types de processus distincts : le processus principal, un processus réseau, un processus de rendu et plusieurs processus de contenu web. Or ce schéma diffère de l'architecture des moteurs comme Gecko ou Blink et oblige les développeurs à implémenter des couches d'abstraction complexes pour adapter leurs travaux historiques.
En parallèle, les développeurs se heurtent à la communication inter-processus (IPC). Sur iOS, Apple utilise XPC (eXtended Platform Communication). Là encore, Google et Mozilla sont contraints d'adapter leurs systèmes de messagerie existants vers cette interface XPC. Cela se traduirait par une réécriture des couches de communication affectant directement sur les performances et la stabilité du navigateur.
Comme si ce n'était pas assez, Apple interdit aussi l'accès aux APIs de filtrage de contenu système pour les navigateurs tiers. Concrètement, Chrome et Mozilla ne pourrait pas intégrer les contrôles parentaux configurés par les utilisateurs, et bien sûr, les filtres personnalisés masquant les publicités. Autant dire que cela crée d'emblée des inégalités.

Un contrôle du modèle économique
Créé en 2021 spécifiquement pour analyser les efforts d'Apple sur l'ouverture du Web, le groupe Open Web Advocacy estime que la société reste hors la loi en imposant ces règles qualifiées de "sévères, unilatérales et incompatibles avec l'exigence du DMA".
Et puis, il y a bien entendu l'aspect financier. On le sait, Google reverse chaque année à Apple 20 milliards de dollars pour venir s'installer comme moteur de recherche par défaut. Cela représente environ 15% des revenus annuels générés par l'entreprise. Soudain, Safari est devenu le "produit à la marge la plus élevée qu'Apple ait jamais créé". Or, si Apple facilite l'arrivée de nouveaux navigateurs, son navigateur maison pourrait voir sa part de marché baisser. Selon l'OWA, Pour chaque 1% de part de marché perdue par Safari, Apple perdrait 200 millions de dollars de revenus annuels.
Pour Apple, un navigateur doté de Blink ou de Gecko pourrait donc largement lui faire de l'ombre, notamment avec si ce dernier prend en charge les extensions tierces. Nul besoin alors pour l'utilisateur de télécharger autant d'applications au sein de l'App Store. Sur sa plateforme de téléchargement, Apple a collecté l'année dernière 27,4 milliards de dollars de commissions pour un total des ventes estimé à 91,3 milliards de dollars. Et puis, si les éditeurs commencent à créer des PWA en permettant d'encapsuler leurs applications Web riches dans leurs propres fenêtres de Chrome, ils échapperaient donc à cette commission tout en offrant un socle technique plus riche que WebKit.
Enfin, il y a aussi l'aberration de la situation. Puisque Apple répond à une exigence de la Commission européenne, la société a imposé que seuls les développeurs situés physiquement dans l'Union européenne peuvent tester les navigateurs utilisant des moteurs alternatifs sur de vrais appareils iOS. Or Google et Mozilla, développant les seuls véritables moteurs de rendu alternatifs, sont des entités américaines. Cette énième restriction oblige donc les équipes de développement basées aux États-Unis (ou simplement en dehors de l'UE) à ne compter que sur des simulateurs logiciels pour leurs tests.
Reste à savoir si, à la suite de cet état des lieux partagé par l'OWA, les autorités européennes redoubleront leur pression exercée sur Apple.