Live Japon : au pays des contenus payants

14 mars 2009 à 00h02
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Puisque la discussion autour du projet de loi français sur la "Diffusion et la protection de la création sur internet" (qui prévoit une sanction des voleurs de musique et films en ligne) fait du bruit dans le landernau et résonne jusqu'au Japon, voilà une bonne occasion pour comparer les cas français et nippons, en mettant en exergue les différences comportementales des internautes, lesquelles illustrent l'état d'esprit dominant en France et sur l'Archipel.

On n'en finit pas apparemment du côté hexagonal de se chamailler pour élucider les causes du piratage et mesurer ses effets réels ou supposés. La vacuité de l'offre légale pousse au crime, soutiennent les uns, du côté des internautes accusés. Pas du tout, c'est la fraude qui lamine les finances des producteurs et empêche de faire émerger une création renouvelée et largement diffusée à un prix plus accessible, rétorquent les autres, les plaignants, éditeurs phonographiques et diffuseurs cinématographiques en tête. Vu de Tokyo, cette discussion apparaît stérile et la solution impossible à trouver tant que chacun ne reconnaîtra pas ses torts d'un côté, et ses lacunes de l'autre.

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Comparons: au Japon aussi, les ventes de musique enregistrée sur supports physiques ont fortement baissé depuis dix ans, car les cassettes et les vinyles ont disparu et parce qu'a désormais pris fin le renouvellement des discothèques analogiques par des CD numériques, phénomène dont ont profité les maisons de disques dans les années 80/90. Passé donc le pic de la fin de la dernière décennie, les achats y ont marqué le pas. Mais dans des proportions moins affolantes qu'en France, et ce même si le prix d'un CD d'un artiste japonais au Japon, de 16 à 25 euros, apparaît par comparaison plus élevé que celui d'un chanteur français en son pays.

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Le secteur musical japonais, globalement résiste donc, grâce à des stratégies qui entretiennent encore le marché des CD et surtout à l'augmentation récente et très forte des téléchargements légaux. Oui, les Japonais reconnaissent que la création a un prix et mieux encore, ils acceptent de le payer. Cela en étonnera peut-être, mais il y a encore dans ce bas monde des gens dont l'esprit n'a pas été pollué par cette soi-disant "culture de la gratuité", une autre calamité. A vrai dire, plus ils avancent en âge, plus les Japonais ont peur et/ou mauvaise conscience quand il s'aventurent sur des sites illicites, tout comme ils évitent les comportements hors-la-loi en public.

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Cette frousse de se faire attraper ou de perdre la face sert de gendarme intérieur, salvateur. Si bien que même si sur la décennie passée (1998-2008), les achats physiques ont dévissé de 36% en nombre d'exemplaires et de 40% en valeur, les revenus musicaux dans leur ensemble n'ont diminué que de 25% en dix ans (contre -53,5% en France en six ans), grâce aux ventes dématérialisées. "Le montant tiré des achats en ligne (720 millions d'euros en 2008 au Japon) représente désormais 20% du chiffre d'affaires du secteur", assure un porte-parole de l'association des maisons de disques nippones, Masaki Suenaga. Un part deux fois plus élevée et un montant dix fois supérieur à ceux relevés en France, où les pirates sévissent aujourd'hui impunément en trop gros nombre, à en devenir insupportable.

Au Japon donc, le marché du téléchargement légal a réellement décollé et les éditeurs s'en félicitent attribuant cette bonne nouvelle à deux facteurs majeurs: l'usage massif des téléphones portables multimédias et la dissuasion face aux mauvaises pratiques, même si elles ne sont pas encore totalement éradiquées. "Le marché japonais se distingue par le fait que plus de 90% des téléchargements de musique (en volume comme en valeur) sont effectués depuis les mobiles qui servent de baladeurs", souligne M. Suenaga. Sur les plates-formes de services pour portables, la plupart des sites officiels (ceux listés par l'opérateur), de tout type, sont payants, soit sur abonnement mensuel, soit à chaque achat.

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En trois clic ont récupère la musique, on l'écoute illico, pas de numéro de carte bancaire à saisir, le montant est imputé sur la facture émise en fin de mois par l'opérateur. Bref, c'est accessible, fiable, plus simple et plus rapide que de passer des heures à écumer des sites bourrés de publicités et autres parasites de plus ou moins bon goût, où l'on trouve certes des titres gratuits mais en y laissant sans doute des plumes d'une autre façon. Bref, la quête de pseudo-gratuité est vite lassante et mis à part les plus jeunes dont le budget mobile/internet est bridé par les parents, les autres, honteux, renoncent très vite ou ne s'accordent cette transgression que lorsque le morceau voulu mordicus n'est pas encore disponible en version dûment autorisée. Sans compter que, méfiants à l'égard des pourvoyeurs d'offres à "0 yen", et précautionneux vis-à-vis des logiciels de partage de fichiers, charrettes à virus et autres risques, les Nippons, craintifs, ne voient pas dans le paiement d'oeuvres en ligne une anomalie, mais un gage de sécurité.

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Selon une récente enquête conduite par l'opérateur cellulaire NTT Docomo et déjà plus largement citée dans ces colonnes, les Japonais préfèrent les informations payantes émanant de professionnels renommés aux sites mobiles lambda soi-disant gratuits. Idem donc pour les contenus musicaux: si un tiers environ des Nippons (34,5%) de 12 à 39 ans utilisateurs de mobile, surtout les adolescents, avouent recourir de temps en temps à des sitesde contenus pour portables illégaux (faute de trouver la version autorisée du titre recherché, arguent-ils alors le plus souvent), la fréquence d'utilisation apparaît si faible que l'impact est finalement mineur. Fin 2008, elle était d'une chanson par mois (ou même moins) pour 72% de la minorité de personnes s'adonnant à cette pratique qui les met mal à l'aise. Seulement 5% des 34,5% d'utilisateurs occasionnels de sites illégaux (soit donc 1,8% des possesseurs de mobile de 12 à 39 ans) confient télécharger illégalement plus de 6 titres intégral ou sonneries par mois.

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Etablissant un diagnostic plus large, englobant les téléchargements sur ordinateur via les plates-formes comme iTunes (Apple), Napster (site légal de Tower Records Japan) ou Lismo (KDDI), les maisons de disques considèrent que "pour un titre intégral ou une mélodie téléchargé légalement, un peu plus d'un autre est piraté". En France, le rapport est de 1 acheté pour 20 volés, donc la fraude est en proportion vingt fois plus importante au pays des droits de l'Homme que dans l'Empire du Soleil-Levant. Pour autant, au Japon aussi, "la lutte contre le piratage et la pédagogie sont absolument nécessaires", insiste M. Suenaga. La législation japonaise va donc elle aussi évoluer. Elle punit déjà lourdement de fortes amendes et même d'années de prison la diffusion en ligne de musique sans accord des ayant-droits. Les verdicts de ceux qui sont sanctionnés pour ce genre de délits sont largement détaillés dans la presse, et cela fait réfléchir les apprentis-arnaqueurs. Les maisons de disques s'en font aussi largement l'écho, c'est de bonne guerre. La loi doit cependant encore être modifiée prochainement pour bannir aussi expressément les téléchargements illégaux sur mobiles. Le débat parlementaire sera prochainement ouvert, on en reparlera.

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Au final, à observer le comportement des consommateurs Français et Japonais et à écouter les prises de position des uns et des autres, le cas de la musique en ligne permet une fois de plus de mettre en relief un aspect déjà longuement évoqué ici: celui de la perversité de "quête de gratuité", qui semble s'être installée dans l'Hexagone, face à la "quête de qualité et de sécurité" qui prévaut au Japon. Si plus personne ne veut payer et que tout le monde entend s'en mettre plein les poches sans le moindre effort, forcément, ça coince, et c'est ce qui se passe en France. Il semblerait en effet que nombre d'internautes français imaginent désormais que tout ce qui est immatériel et disponible sur internet doit lui être gratuitement offert. Bien, admettons: mais dans ce cas, il faut trouver un bon Samaritain prêt à payer.

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Les annonceurs? Pourquoi pas. Cela marche parfois... à condition toutefois que les bénéficiaires des contenus donnés admettent que l'on puisse utiliser en échange une partie des informations personnelles qu'ils laissent en ligne pour permettre aux fournisseurs de prospecter... afin de trouver des annonceurs. Or, en France, et on le lit ici fréquemment au détour des commentaires, non seulement on refuse de plus en plus de donner directement de l'argent en échange d'un contenu ou d'un service, mais en plus on veut interdire l'usage commercial des informations indispensables pour intéresser et faire cracher au pot des tiers-payeurs.

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Alors de deux choses l'une: si on veut légitimement avoir le droit de dire "non à l'emploi des profils des utilisateurs pour encaisser des revenus publicitaires", il faut en échange accepter de payer les oeuvres et services dont on entend bénéficier. Ou bien l'inverse. Mais pas les deux refus à la fois, sinon la partie est finie ou bien il y a tricherie ou plutôt vol, et dans ce cas, d'un côté ou de l'autre, il doit être puni en tant que tel. La mesure de "riposte graduée" proposée en France, qui prévoit un double avertissement (par courriel puis lettre recommandée) avant une suspension éventuelle d'abonnement à internet en cas de mauvaise conduite persévérante, paraît plus que défendable compte tenu de l'abus actuel en France, d'une ampleur qui sidère les Japonais.

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Et même si les éditeurs nippons trouvent que le piratage est encore un fléau aussi chez eux, ils doiven t reconnaître que les consommateurs auxquels ils ont affaire sont bien plus compréhensifs, pour ne pas dire malléables, que ceux qu'affrontent les producteurs et défenseurs des ayant-droits français. Les clients japonais acceptent majoritairement non seulement de payer, mais en plus ils se montrent peu préoccupés par la façon dont leurs pérégrinations en ligne sont utilisées comme aspirateurs à publicité. Eux cherchent surtout à bénéficier d'un service fiable, rapide, sûr, sans prendre de trop gros risques, ce qui en fait de sacrés bons clients, servis il est vrai par des commerçants aux petits soins et dans l'ensemble honnêtes.

Signalons enfin pour conclure, que les maisons de disques nippones autorisent la location de CD dans quelque 3.000 boutiques spécialisées, dont le fond moyen par point de location s'établit à environ 12.000 albums. Personne n'est dupe: ceux qui empruntent copient les morceaux qui les intéressent. Certes, mais ils ont payé les journées de location et s'abstiennent de faire commerce en ligne des titres stockés chez eux, dévolus à leur usage personnel. Manque à gagner quand même? Pas sûr du tout. En effet, ceux qui louent les CD et s'acquittent d'un droit n'auraient peut-être pas acheté ledit album, auquel cas, ils n'aurait pas donné un yen à la maison de disque, alors qu'avec la location, elle en encaisse plusieurs. Mieux, si le CD en question est perçu comme génial, non seulement par son contenu enregistré mais aussi par d'autres aspects (design, photo, etc.), celui qui l'emprunte sera peut-être bien incité à l'acheter.

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C'est bien pour cela que les maisons de disques sont plutôt bien disposées à l'égard de la location payante et qu'elles innovent pour que cette dernière et le téléchargement ne soient pas que des substituts mais aussi des vecteurs d'achat de disques. CD ou DVD vendus plus cher mais avec un enregistrement de qualité supérieure, morceaux inédits, jaquettes et livrets ultrasoignés, babiole-cadeau, programmes de fidélité sont autant de façons d'interpeller les mélomanes japonais qui affectionnent les beaux objets et aiment les offrir. On constate d'ailleurs que les artistes japonais, qui bénéficient davantage de ces modes de différentiation, sont ceux qui pâtissent le moins de la chute des ventes de CD au Japon, tandis que leurs homologues étrangers, qui investissent moins dans l'originalité matérielle, sont certes encore écoutés, mais pas toujours au point d'acheter leur CD qui n'apporte rien par rapport à la version en ligne, moins onéreuse.

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