Live Japon : TV numérique ou... "tempête de sable" !

23 juillet 2011 à 09h20
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On les avait pourtant prévenus, et depuis des années, qui plus est : la télévision analogique terrestre, le 24 juillet 2011, fini, plus d'émissions, « tempête de sable » (comme disent les Japonais) sur les écrans. Malgré les efforts hallucinants des autorités, médias et commerçants, fin juin, encore 290 000 foyers japonais n'étaient toujours pas équipés pour recevoir le signal numérique hertzien, souvent des personnes âgées et peu au fait des innovations techniques, comme le dessine avec ironie le mangaka nippon Jean-Paul Nishi (Taku Nishimura de son vrai nom).

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« Attention, plus qu'une journée avant la fin de la diffusion TV analogique » : le message mange le quart de l'image, il faut tourner le dos à l'écran pour ne pas le voir. S'il veut le faire disparaître et continuer à regarder ses programmes favoris à compter du 24 juillet, le téléspectateur nippon doit acheter un téléviseur numérique.

Hormis dans les trois préfectures du nord-est les plus sinistrées par le séisme et le tsunami du 11 mars (Fukushima, Miyagi, Iwate), le signal de télévision analogique hertzienne sera définitivement coupé au Japon ce dimanche, comme prévu depuis le lancement de la télévision numérique terrestre haute-définition, il y a près de 5 ans.

L'effervescence est désormais à son comble dans les empires de l'électronique de Tokyo où sont exposés quelque 300 modèles de TV numériques, à écran plat haute définition (HD), de marques japonaises essentiellement. Les vendeurs en veste rouge ne savent plus où donner de la tête.

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« Si vous souhaitez des renseignements, prenez d'abord un ticket », « désolé, il n'y en a plus », excusez-nous, impossible de livrer ce modèle avant début août... Assaillis, les vendeurs sont malgré eux contraints de décevoir le client tout en restant toujours d'un calme époustouflant, même avec les chalands les plus ignorants et enquiquinants.

Les simples boîtiers de réception bon marché, à partir de 5 000 ou 6 000 yens (45 à 54 euros) sont épuisés. Il ne reste que les modèles trois fois plus chers, qui comportent certes des fonctions supplémentaires (raccordement à un disque dur externe par exemple) mais dont se fichent comme d'une guigne nombre des clients potentiels lesquels repartent bredouilles. Ils n'avaient qu'à s'en préoccuper plus tôt, comme la majorité, heureusement.

Tout au long de l'année 2010 et encore ces derniers mois, les TV se sont en effet vendues comme des petits pains. Quelque 26,5 millions de engins ont été écoulés l'an passé, soit le double du total enregistré en 2009. Un foyer nippon sur deux a acquis un nouveau téléviseur en 2010. Pas moins de 11,4 millions de postes ont encore trouvé preneurs entre janvier et juin derniers. Jusqu'à mars, les achats ont été dopés par un système étatique d'éco-points donnant droit à un à-valoir pour accélérer le remplacement des postes voraces en énergie et trop anciens.

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Cet avantage a motivé 30% de ceux qui ont acquis un nouveau modèle, selon une étude conduite du 14 au 16 juillet auprès de 520 adultes. La ristourne offerte a d'ailleurs plus joué que l'approche de l'arrêt du signal analogique (motif pour seulement 27% des acheteurs prévoyants). En réalité, la première raison de l'achat d'une TV numérique est le fait que toutes sont à écran plat et donc peu encombrantes, une raison avancée par près de la moitié des sondés.

Résultat, de nombreux Japonais ont attendu le dernier moment pour renouveler leur premier ou deuxième téléviseur voire s'offrir leur troisième ou quatrième en espérant profiter de tarifs encore meilleurs, compte tenu d'une concurrence phénoménale. D'après l'enquête déjà citée ci-dessus, seulement 1,3% des Nippons n'ont pas de téléviseur, 35% en ont un, 29,8% deux, 18% trois, près de 9% quatre, 5,2% cinq et 1,7% six ou plus! Reste que 20% reconnaissaient alors que leur deuxième poste n'était pas encore numérique. Autrement dit, il reste encore du monde à suréquiper !

« T'as vu, celui-là, 22 pouces, pas cher », s'exclame une jeune femme dans le temple de l'électronique Bic Camera au coeur de Tokyo. « C'est un modèle coréen », rétorque sa camarade, avant de lorgner sur un appareil similaire mais plus cher de marque nippone.

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Selon l'institut BCN de suivi des ventes, les tarifs des téléviseurs ont encore dévissé en moyenne de 10% en deux mois, une glissade infernale pour les industriels nippons, même si le secteur est habitué à une chute permanente des prix, sans compter les rabais offerts sous forme de points dans les différentes enseignes. Presque toutes les entreprises d'assemblages d'appareils électroniques qui en ont les moyens peuvent en effet aujourd'hui fabriquer des TV de tailles moyennes à moindres coûts. Cette évolution, logique mais exceptionnellement rapide, rend ces produits impossibles à rentabiliser pour les industriels japonais, même s'ils conservent encore le quasi-monopole dans leur pays où les clients préfèrent toujours les marques locales, songeant notamment à la simplicité du service après-vente.

Sharp, numéro un du secteur au Japon et pionnier toujours en pointe sur la production de dalles-mères à cristaux liquides (LCD), est une des victimes de cette compétition affolante. « Le prix des dalles de TV chute et fait peser une forte pression sur les fabricants », confiait récemment le PDG, Mikio Katayama. Et d'ajouter : « les TV de dimensions inférieures à 40 pouces ne sont plus rentables, pas plus pour notre rival sud-coréen Samsung que pour nous. Il suffit de voir le prix des produits en rayon, aux Etats-Unis notamment, pour se rendre compte de la difficulté pour les fabricants de conserver des marges dans ce domaine ultra-concurrentiel ».

Afin de répondre à ces importantes modifications structurelles, Sharp est en train de revoir ses structures de production pour se concentrer sur deux types de marché: les petits et moyens écrans pour appareils nomades et les très grands écrans pour les TV et systèmes d'affichage électronique ou autres applications. Quant à ses TV de moyennes tailles grand public, elles seront dotées de dalles LCD achetées à des tiers.

A l'instar de ses compatriotes Panasonic, Toshiba ou Sony, il se rattrape en partie par ailleurs, avec notamment les enregistreurs vidéo haut de gamme (Blu Ray) qui trouvent également nombre d'acheteurs, grâce à des prix en partie sacrifiés. C'est qu'avec la fin de la TV analogique, les magnétoscopes et appareils d'enregistrement en format standard sont aussi obsolètes. « Attention, beaucoup de modèles Blu Ray sont en rupture de stock », prévient un vendeur.

Qui voudrait pourtant un simple enregistreur sur disque dur et DVD traditionnel est bien en peine pour en trouver un. Il n'y a désormais quasiment plus en rayons que des modèles HDD/Blu Ray, à partir de 425 euros environ. Et voilà pourquoi au Japon, les ventes d'enregistreurs Blu Ray ont bondi, certains clients profanes repartant quand même tout contents compte tenu de la réduction offerte par les grandes surfaces spécialisées, sans même savoir ce qu'est le format Blu Ray Disc (BD).

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Le passage intégral à la diffusion numérique haute définition ne fait toutefois pas que des heureux. Les téléspectateurs qui n'ont pas de gros moyens et ne se préoccupent pas trop de la qualité des images auraient volontiers conservé leur vieille petite lucarne, même si, au jugé, les trois quarts des convertis se disent très satisfaits de la beauté visuelle et sonore, et si 18% affirment qu'ils sont de facto plus souvent postés devant le petit écran (3 heures 24 minutes par jour en semaine, 4 heures 36 les jours de congé), toujours selon le sondage précédemment mentionné.

Quant à ceux qui ignorent encore les bénéfices du numérique faute d'avoir acquis le matériel, l'Etat a pris diverses dispositions pour que les moins avertis ne découvrent pas le 24 ou plus tard que leur petit écran ne veut plus rien montrer. Les plus concernés et les moins au courant sont les personnes âgées (comme dans le manga) même si ce sont elles qui regardent le plus la télé (4 heures par jour en moyenne pour les plus de 60 ans).
Des manifestations spéciales, avec un personnage mascotte, ont eu lieu sur les places publiques des villes et villages et les autorités ont dépêché dans les maisonnées âgées et isolées des techniciens pour informer leurs résidents de la nécessité de changer de TV et parfois d'antenne.

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Plus de 1.500 guichets ont en outre été installés dans tout le pays, de même qu'un centre téléphonique fonctionnant désormais 24 heures sur 24 avec des effectifs renforcés. Quelque 20 000 à 30 000 appels étaient recensés quotidiennement ces derniers jours, et ce pourrait être pire une fois l'échéance passée, avec encore à ce moment au bas-mot 100.000 foyers en détresse, selon les autorités.

Pour faire face, elles ont mobilisé une « légion de secours » de 22.000 personnes. Par ailleurs, des boîtiers récepteurs bon marché ont été commercialisés et d'autres distribués gratuitement aux plus démunis.

Le renouvellement des postes cause aussi d'autres tracas, des malotrus se débarrassant de leurs anciennes télévisions sur les trottoirs ou dans les bois pour ne pas avoir à s'acquitter du coût de reprise des objets encombrants.

Même si le Japon a conçu sa propre technologie de TV numérique, l'ISDB-T, il n'est pas le seul a stopper le signal analogique, tant s'en faut. Quelque 50 autres pays ont décidé une migration intégrale vers la diffusion numérique, un moyen de réduire le spectre fréquentiel nécessaire pour un nombre équivalent de chaînes et d'employer les espaces libérés à d'autres fins. Au Japon, de nouveaux canaux de télévision payants et des services multimédias à destination de terminaux mobiles sont censé occuper d'ici moins d'un an les fréquences laissées vacantes.

A Tokyo, la transition intégrale vers le numérique (diffusé depuis 2006) va aussi s'accompagner d'un changement de site de diffusion, avec l'entrée en service prochainement de la Tokyo Sky Tree (voir Live Japon : Tokyo Sky Tree, émetteur de rêves), plus haute tour-émettrice autoportée du monde (634 mètres), dont l'ouverture au public est prévue le 22 mai.

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