Live Japon : la crise, tout bénef pour le jeu vidéo ?

01 novembre 2008 à 13h05
0
Tout comme Sony la semaine dernière, cette fois c'est Nintendo qui a été contraint ce jeudi de raboter ses mirifiques estimations de bénéfices annuels, lui aussi touché par la brusque hausse du yen qui entame ses marges. Nintendo a ramené son évaluation de profit net annuel à 345 milliards de yens (2,76 milliards d'euros), alors qu'il espérait auparavant le voir atteindre 410 milliards. Mais même en défalquant des milliards de yens sur ses simulations antérieures, Nintendo n'est pas aux abois, tant s'en faut, puisque les nouveaux gains attendus seront encore historiques et d'un tiers supérieurs à ceux encaissés l'an passé. Les profits nets de Nintendo représenteront en outre plus du double de ceux du géant de l'électronique nippon Sony qui, plus éclectique, affiche pourtant un chiffre d'affaires quatre fois et demie plus gros. Un rapide retour en arrière montre que, quoi qu'il en soit, Nintendo empochera cette année un bénéfice net qui équivaut presque au total de ses recettes de ventes annuelles d'il y a cinq ans, avant qu'il ne mette sur le marché la famille DS puis la Wii, devenues ses vaches à lait.



Peu importe la conjoncture économique mondiale, radieuse ou calamiteuse, les jeux et consoles estampillés Nintendo se vendent de mieux en mieux. La crise pourrait même accélérer le mouvement. "Nos affaires vont bien en soi et nous nous attendons à une augmentation des ventes en volume", assure la firme. Contrairement à d'autres groupes japonais plus diversifiés qui constatent que les clients sont plus durs à attraper et rechignent à s'offrir certains produits high-tech coûteux (larges téléviseurs à écran plat par exemple), Nintendo semble au contraire profiter de l'envie des consommateurs de se vider la tête, de se faire plaisir, sans sortir, et de se distraire en famille à un prix somme toute jugé raisonnable comparé à celui d'autres loisirs. Que les marges sur chaque console et jeu vendus à l'étranger soient soudainement grignotées par le yen plein d'entrain ne change rien au fait que le groupe continue de fabriquer des Wii, des DS et des boîtes de cartouches ou DVD, à tour de bras: "En voulez-vous? En voilà!".



De fait, après un début d'année en fanfare, et alors que les calamités économiques s'accumulent, Nintendo s'attend à vendre plus de consoles et jeux qu'il ne le pensait il y a ne serait-ce que trois mois.



Sur l'ensemble de l'année budgétaire (avril dernier à mars prochain), il compte écouler 30,5 millions de machines de poche à double-écran DS ainsi que 27,5 millions de consoles de salon Wii. A mi-parcours, il a déjà vendu près de 14 millions de DS, portant le total à 84 millions depuis la naissance de cette famille de consoles fin 2004. En six mois, plus de 10 millions de Wii ont également rejoint autant de foyers dans le monde, ce qui hisse le total à 34,5 millions depuis leur lancement fin 2006.

La forme insolente de Nintendo n'est pas forcément une surprise pour les familiers de l'industrie du jeu. On a déjà constaté par le passé que les périodes de débâcle économique coïncident souvent avec celles dorées de quelques secteurs du divertissement. Ainsi en fut-il lors des précédentes grandes déprimes au Japon dans les décennies passées.

A en juger par l'ambiance électrique du Tokyo Game Show, le plus grand salon asiatique qui s'est tenu récemment dans la banlieue tokyoïte, les studios de développement n'avaient en tout cas guère l'esprit torturé par le cataclysme financier mondial, contrairement aux opérateurs des salles de marchés boursiers tout aussi accros aux écrans. Le jeu vidéo "n'est pas le genre d'industrie qui subit des chutes soudaines et violentes de la demande", se rassure Yoichi Wada, président de la fédération professionnelle du secteur au Japon et de l'entreprise Square Enix.

Même son de cloche dans la bouche du PDG de Nintendo, Satoru Iwata, qui en veut pour preuve les courbes de vente de ses machines et jeux depuis que la conjoncture va de mal en pis. Ils sont rares ceux qui, à l'instar de Hiroshi Kamide, analyste chez KBC Securities, affirment que "la récession n'est pas une bonne chose pour ce secteur non plus, quoi qu'on en dise". Cette opinion minoritaire pourrait à première vue être sous-tendue par les derniers chiffres du marché au Japon. Au premier semestre, les ventes de consoles y ont baissé de 33,5% en valeur et celles de jeux de 10,3%, selon les statistiques d'Enterbrain, société d'édition spécialisée.



Toutefois, "cette contraction est naturelle, du fait des cycles d'apparition des nouvelles générations de machines", explique son PDG, Hirokazu Hamamura, selon qui l'année dernière a bénéficié de la mise en vente fin 2006 de la Wii de Nintendo et de la PlayStation 3 de Sony. "La situation du jeu vidéo au Japon n'est pas mauvaise", assure-t-il, prédisant une seconde moitié d'année dynamique avec la sortie au Japon de sagas attendues et de titres très grand public comme "Wii Music", le nouveau divertissement de simulation musicale de Nintendo.

En Europe, où le secteur financier est plus durement touché qu'au Japon, la filiale de jeu du géant nippon Sony affirme qu'elle ne connaît pas non plus la crise. La déconfiture financière "n'a pas d'effets négatifs sur notre marché, c'est même le contraire", assure un responsable de Sony Computer Entertainment.



"On le lit sur les graphiques de vente, alors même que les dernières consoles et les titres allant de pair sont plutôt chers", explique-t-il. En 2007, le marché mondial du jeu s'est élevé à près de 22 milliards d'euros, en progression de 80% par rapport à 2006, selon l'association des industriels du divertissement numérique japonais. Ce découplage entre le marasme financier et la santé de l'univers ludique virtuel s'explique, selon le responsable de Sony, par un "effet cocooning", un phénomène qu'il juge "particulièrement vrai en France".



"Au lieu d'une séance de cinéma en famille, les gens préfèrent rester à la maison et s'amuser avec des jeux de société vidéo", comme des quiz ou des karaoke, analyse-t-il, estimant qu'"a contrario, le cinéma risque de souffrir". Les familles font des arbitrages budgétaires différents, compte-tenu de l'inflation et du tarif exorbitant de l'essence. Ce n'est pas seulement vrai en Europe. De fait, si le jeu à domicile au Japon résiste, les salles spécialisées nippones, elles, souffrent le martyre depuis plusieurs mois, à l'image du groupe Sega Sammy ancré dans le rouge à cause de la "désertion" de ses temples du jeu au profit du divertissement à la maison. Au Japon aussi, la flambée des prix de l'essence jusqu'à ces dernières semaines est un facteur qui a freiné les sorties en voiture dans des sites de loisirs excentrés.



Restent quand même les "hard gamers", ces caïds de la manette et des consoles en tous genres. Aucune conjoncture ne paraît en mesure de tuer leur passion pour les jeux à grand spectacle pour lesquels ils déboursent des fortunes. Pour ces inconditionnels, s'il existe une crise dans le secteur du jeu japonais, c'est peut-être celle de la créativité, illustrée selon eux par les jeux pour DS ou Wii. Et les mêmes de n'avoir pas de mots assez durs pour Nintendogs et autres amusements "bon enfant". Sauf que ces "hard gamers" ne sont pas assez nombreux pour faire vivre le secteur.
Et voilà pourquoi Nintendo poursuit sa stratégie sans se préoccuper de leurs réflexions désobligeantes à son égard. "Une Wii par famille, une DS par individu", répète à l'envi le patron de la firme de Kyoto, Satoru Iwata, lorsqu'il affiche ses ambitions ultimes. Et le même de dégainer de nouvelles armes chaque fois que la demande semble marquer un peu le pas, comme ce fut le cas ces derniers mois concernant la DS au Japon.



Pour remettre en route la machine à cash, Nintendo a donc lancé ce samedi dans l'Archipel une nouvelle variante de cette console de poche, la DSi, dotée d'écrans plus larges, de deux caméras et de fonctions sonores plus costaudes, autant de fioritures pour mieux affronter la rivale combative PSP de Sony, stimuler les développeurs pour créer des divertissements inédits, amuser les petits et les grands et remplir le tiroir-caisse. Le yen, lui, n'aura qu'à bien se tenir.

Bien qu'esthétiquement peu différente de son aînée DS Lite, sortie au Japon en mars 2006, la DSi était la star du jour dans les empires de l'électronique de Tokyo. "Il y avait environ 300 personnes qui patientaient ce (samedi) matin à l'ouverture", a assuré à mi-journée un vendeur de l'enseigne Bic Camera de Yurakucho au coeur de la capitale. Chez ses rivaux Yodobashi Camera et Sofmap, dans le royaume high-tech d'Akihabara, il fallait avoir réservé, et pas plus d'une par personne. Ce mode de vente a permis d'éviter les cohues habituelles, surtout en plein week-end de trois jours où, aux innombrables tokyoïtes, s'ajoutent les Nippons de passage. "Tous les exemplaires livrés ont été retenus", affirmait un vendeur de Yodobashi, dont les propos étaient d'ailleurs confirmés par les affiches placardées un peu partout.



Qui achète cette DSi? "Ceux qui ont déjà un modèle antérieur mais, fanatiques, désirent en changer, et ceux qui ont sauté sur cette nouveauté pour entrer dans la famille déjà nombreuse des possesseurs de consoles DS", détaille notre interlocuteur. "Les enfants qui n'ont pas de téléphone portable ou appareil photo numérique voient dans la DSi une solution pour prendre des photos et s'amuser avec", cite-t-il en exemple. Au vu des caractéristiques techniques de la machine, pas si bluffantes que cela, il ne pensait toutefois pas que "l'enthousiasme initial serait tel".

De fait, toutes les boutiques de jeu d'Akihabara affichaient "shinagire" (rupture de stock) ou "kanbai" (toutes vendues) à la mi-journée. Seul un des deux Bic Camera du coeur de Tokyo, Yurakucho, avait encore à 14 heures quelques dizaines de machines, de couleur blanche uniquement. Nintendo avait livré 200.000 DSi dans tout le pays samedi. Il prévoit un réassortiment de 100.000 unités dans les prochains jours.

Même si près d'un Japonais sur cinq détient déjà une variante de DS, le potentiel de marché pour la DSi est encore jugé énorme. Elle pourrait s'écouler à dix millions d'unités au Japon, portant à plus de 35 millions d'exemplaires le total des ventes de cette famille de machines dans l'archipel depuis sa naissance en 2004, dixit le patron d'Enterbrain, lequel dit baser ses calculs "sur l'observation fine des catégories de Japonais qui n'ont pas encore de DS". "Cette DSi ne se présente pas comme une nouvelle génération, mais comme une évolution.

En ce sens, elle a vocation à attirer une nouvelle clientèle pas encore équipée et non à pousser ceux qui ont déjà une DS à la renouveler", explique M. Hamamura. Il dit songer notamment aux jeunes hommes salariés, aux lycéennes et aux tout petits enfants, publics qui, selon lui, sont les moins gros acheteurs des DS/DS Lite. L'intégration de caméras à l'avant et à l'arrière et les fonctions audio peuvent entraîner la création de nouveaux types de divertissements attirants. "Les lycéennes sont des fans des puricura (cabines où l'on se photographie seul ou à plusieurs sur des fonds rigolos). Elles trouveront amusant d'avoir cette fonction directement sur leur console avec la possibilité de retoucher facilement les clichés ", pense-t-il. M. Hamamura estime également que la distribution en téléchargement de mangas (bandes dessinées japonaises lues par tous les publics) et de romans (très appréciés par les filles) peut dynamiser les ventes de DSi au Japon.
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ? Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
google-news

A découvrir en vidéo

Haut de page