Indiescovery #10 | Away, Journey to the Unexpected

Kevin Gainche
Spécialiste gaming
26 février 2019 à 17h39
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Indiescovery 10

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Où l'on distingue hommage et... pompage.

Si l'on se place en observateur de n'importe quelle forme de création, difficile de ne pas remarquer ce phénomène à la frontière extrêmement floue qu'est l'hommage. Lorsqu'une personne créé, que ce soit une œuvre d'art, un film, un livre ou dans le cas qui nous intéresse, un jeu vidéo, sa création est fatalement marquée par une ribambelle d'influences et de références. Car quoi que l'on puisse en dire, aucune création n'est véritablement originale, elle n'est souvent que le fruit d'une lente digestion de codes et idées sans cesse remises au gout du jour. Entendons-nous bien toutefois, je ne cherche pas par-là à dénigrer le travail de l'auteur, qui utilise ces codes, fonds comme forme, pour mettre au monde quelque chose de nouveau, et surtout, de personnel ; toute œuvre, quelque part, est un remodelage plus ou moins complexe de celles qui l'ont précédées, chacune à leur façon.

« rendre hommage, et poursuivre son œuvre »


En matière de jeu vidéo, il existe de nombreux exemples de titres qui utilisent les codes d'un genre pour lui rendre hommage, et poursuivre son œuvre. The Eternal Castle Remastered, dont nous vous avons parlé il y a quelques semaines en est le parfait exemple (je vous invite à aller jeter un œil à l'Indiescovery que nous lui avons consacré si le cœur vous en dit).

Si l'on jette un œil du côté des grands noms de l'industrie, on pourra citer l'hommage criant à Tomb Raider que constitue la série Uncharted. Une manière pour Naughty Dog d'utiliser tous les traceurs d'une saga mythique pour lui donner un second souffle, et créer quelque chose qui lui est propre. Une vision pas vraiment nouvelle certes, mais indéniablement personnelle, qui a su, au fil des épisodes, trouver sa voie. À tel point que les derniers épisodes de Tomb Raider, sortis après Uncharted, semblent s'inspirer de ce dernier, et s'en nourrir comme pour mieux se moderniser.

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Le Carnet, une manière de voir ce que pense notre avatar de l'aventure que nous vivons à ses côtés

L'histoire du jeu vidéo est parsemée de ces jeux qui s'inspirent, citent, réinventent ou loue leurs prédécesseurs. Que ce soit en reprenant des pans entiers d'un gameplay iconique, une manière de raconter les histoires, de les mettre en scène, ou bien tout simplement en citant presque mot pour mot la grammaire d'un autre titre, les jeux actuels trouvent presque tous un écho dans le passé. Et si certains jouent carte sur table en indiquant leur inspiration (prenez par exemple le cas d'Oceanhorn et ses faux airs de Zelda), d'autres font preuve de plus de pudeur, glissant çà et là de petits messages, quasi-subliminaux, à leur inspirations. De petites références que les joueurs les plus observateurs, ou les plus érudits sauront dénicher, pour leur plus grand plaisir.

« l'hommage peut très vite basculer dans son versant sombre : le pompage »


Cette pratique a toutefois ses limites, car l'hommage peut très vite basculer dans son versant sombre : le pompage. S'il est bon de s'inspirer d'un modèle, de le digérer, et de le recracher à sa sauce, il est en revanche impardonnable de voler l'essence même d'une création pour la faire sienne.

Or dans le petit monde du jeu vidéo, cela arrive bien plus souvent qu'on ne le pense, en particulier lorsque l'on s'intéresse à cette jungle que constitue l'univers du jeu mobile. Entendons-nous bien, je suis un fervent adepte du jeu sur mobile, qui a accouché de titres incroyables (Another Lost Phone, 10 000 000, You Must Build a Boat, Monument Valley, Lifeline, Space Team, Reigns... j'en passe et des meilleurs). Mais il faut bien reconnaître que de nombreux développeurs n'y voient là qu'une manne financière prête à être récoltée sans trop avoir à se fatiguer. Certains se sont même fait une spécialité de repomper intégralement le travail des autres, sans passer par la case hommage. Juste une reprise pure et simple de tout ce qui constitue l'âme d'un jeu, habillée avec de nouveaux oripeaux.

L'avatar le plus connu de cette maladie qui gangrène l'industrie du jeu mobile n'est autre que Gameloft, qui s'est depuis bien longtemps spécialisé dans la sortie de titres entièrement pompés sur des AAA, à tel point qu'ils ne prennent même plus la peine de camoufler leurs « inspirations ». Il suffit de quelques secondes, en jetant un œil à leur catalogue, pour découvrir la supercherie. Gangasta ? Une pâle copie de GTA. N.O.V.A ? C'est Halo ma bonne dame. Order & Chaos ? World of Warcraft évidemment. Modern Combat ? Call of Duty. Dungeon Hunter ? Diablo. Et la liste continue encore et encore. Des gens comme Gameloft, il en existe des tonnes (on en parle de King et de son Candy Crush), et lorsqu'ils ne sont pas occupés à reproduire purement et simplement un jeu déjà existant (souvenez-vous de l'armada de clones de Flappy Birds sortis pour surfer sur son succès), ils s'en vont piller sans aucune vergogne une série, un film, ou tout autre matériau qui serve leur besoin de pompage.

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Chaque personnage qui vous accompagnera durant votre aventure dispose de sa propre vision du monde.

La limite entre hommage et pompage est extrêmement floue, et il est parfois difficile de faire la différence entre les deux. Cette différence, à mon sens, dépend bien évidemment du degré d'emprunt, mais surtout, au niveau de l'intention, de la motivation se trouvant derrière le projet. Et au risque de vous étonner, le pompage pur et simple est pratiquement toujours fait pour de mauvaises raisons, la principale étant, je vous le donne en mille, de se faire un max de thunes en en foutant pas une ramée. Et si vous me lisez régulièrement, vous devez commencer à savoir que ce genre de considération, ça ne botte pas plus que ça. Donc aujourd'hui, j'ai envie de vous parler d'un jeu fait avec les meilleures intentions du monde, un hommage multiple, pétri de références et bonnes vibrations : Away.

Away : Journey to the Unexpected

par Aurelien Regard & Jean-Matthieu Gennisson (2018)

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La galerie de personnages croisés est vraiment très originale.

Away, c'est un projet lancé dès 2015 par deux petits gars biens de chez nous : Aurelien Regard, cofondateur d'Arkedo et auteur de The Next Penelope, et Jean-Matthieu Gennisson, ancien de chez Pastagames et Ubisoft, et doué d'un joli coup de crayon à ses heures perdues. En combinant leurs (multiples) talents, nos deux amis ont concocté un jeu sympathique à l'extrême notamment par les évocations multiples jonchant son « parcours ». À peine le jeu lancé, l'on se retrouve face à un générique digne de n'importe quel animé japonais. Graphismes vifs et colorés, personnages utilisant le pouvoir de l'amitié pour triompher du mal et autres méchas se succèdent sur une musique entraînante.

« Car oui, Away : Journey to the Unexpected n'est ni plus ni moins qu'un FPS »


Ce simple générique suffit déjà à donner le ton du reste du jeu : ici, on va se sentir bien, au chaud, en terrain connu. Et c'était bien là l'objectif des deux compères, nous proposer un jeu qu'il fait bon jouer, un feel-good FPS comme ils l'avaient décrit en amont de la sortie. Car oui, Away : Journey to the Unexpected n'est ni plus ni moins qu'un FPS.

N'espérez toutefois pas voir apparaître les mânes des grands anciens du genre. Ici, point de démons vengeurs, de zombies sanguinolents et autres armes qui repeignent les murs d'hémoglobine. Non, ici, vous devrez abattre des slimes ouvriers plus mignons les uns que les autres, des crabes-cochons ou encore des méchas surarmés à la seule force de votre ingéniosité et de votre petit bâton, seule arme que vous aurez à votre disposition.

Aux mécaniques classiques du FPS se greffent des mécaniques de Rogue-Lite. Comprenez par là que si jamais vous venez à mourir, vous devrez recommencer l'aventure en conservant toutefois certains bonus de vos parties passées. Une manière de vous aider, partie après partie, à aller toujours un peu plus loin dans l'exploration du monde.

L'aventure débute dans la peau d'un jeune garçon qui loge chez ses grands-parents, suite au départ de ses parents pour un job bien mystérieux. Un matin, un bruit assourdissant venant de la cave va le pousser à partir à l'aventure. Au cours de ses pérégrinations, il sera confronté à une entreprise malveillante, des extra-terrestres belliqueux ou encore un cas de pollution mutagène particulièrement virulent. Une tâche ardue pour un si jeune garçon, mais qu'il pourra surmonter grâce aux rencontres qu'il fera au cours de son aventure. Au fil des zones parcourues, il sera en effet possible de croiser une galerie de personnages hauts en couleur, qu'il faudra convaincre de vous aider au gré de séquences de dialogues pleines d'humour, et de petites références fort sympathiques. Car Away est drôle, et vous vous surprendrez bien des fois à sourire devant une petite blague ou une réplique bien sentie.

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Au fur et à mesure de votre aventure, vous pourrez découvrir de nombreux décors. Ici, la glace.

Pour ne rien gâcher, le duo nous a concocté un habillage, visuel et sonore, de toute beauté. Graphiquement, Away nous fait une proposition originale qui mélange un monde en 3D à des personnages en 2D, le tout avec une direction artistique toute en rondeur, pleine de couleurs vives, et charmante en diable.

L'exploration est portée par une partition tout aussi envoûtante qui se permet quelques envolées rythmiques lors des combats de boss. Une véritable réussite donc, qui fonctionne évidemment grâce au talent de ses deux concepteurs, mais aussi parce que chaque parcelle d'Away évoque un souvenir.

On se sent bien dans Away, comme à la maison, sous la couette. Away est de ces titres qui nous ramènent des années en arrière, nous évoque des tas de souvenirs, de jeu ou de sessions de jeu. Ces petits instants fugaces partagés en famille ou entre amis, lorsque l'on était plus jeune.

« Alors certes, Away n'est pas parfait, mais la démarche qui se cache derrière, elle, vaut le coup que l'on s'y intéresse »


Lorsque l'on joue à Away, on sent bien qu'Aurelien et Jean-Matthieu ont cherchés à rendre hommage à tout un tas d'éléments qui ont marqué leurs parcours respectifs. Néanmoins, et malgré les évidentes références aux jeux vidéo, films, animés ou mangas qui constituent le socle culturel des trentenaires modernes, Away : Journey to the Unexpected est avant tout une ode au monde merveilleux de l'enfance. Cette période ou un simple bâton devient une arme de légende, et un sous-sol lugubre, un monde empli de danger et de mystère. Ou l'imagination nous transporte dans un monde sans limites, qui se moque des conventions, de la logique. Alors certes, Away n'est pas parfait, mais la démarche qui se cache derrière, elle, vaut le coup que l'on s'y intéresse. Qu'on la salue. Qu'on l'étreigne à bras le corps même. Car avec Away, nos deux compères rendent hommage à quelques choses d'immatériel, propre à chacun, et que l'on regarde tous avec un brin de nostalgie arrivé à l'âge adulte : notre innocence.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :

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