De Napster à Hadopi, 15 ans de lutte contre le téléchargement illégal

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Au fil de l'évolution de la puissance des machines et de la qualité des connexions à Internet, les internautes ont modifié leurs pratiques de téléchargement. Parallèlement à ces changements, les dispositifs de lutte contre le téléchargement illégal ont tenté de s'adapter.

Des premiers protocoles de partage d'information, au Web tel qu'il est de nos jours, la notion d'échange de données est une constante. Le développement des réseaux aidant, l'offre de contenus est devenue pléthorique et les utilisateurs sont allés au plus facile, à savoir la possibilité d'obtenir gratuitement films, albums, jeux et autres logiciels.

Ces habitudes ont rapidement été critiquées puis attaquées par les représentants des industries concernées. Les motifs invoqués sont alors clairs : la violation des droits d'auteur. Les différents systèmes de partage de ce type de fichiers ont respectivement été tenus pour responsables du fait de la possibilité offerte aux internautes de s'échanger ces contenus obtenus illégalement.

Depuis le procès Napster, ce sont donc deux milieux qui n'ont de cesse de s'opposer. D'un côté, de nouveaux services en ligne émergent. De l'autre, les professionnels et les pouvoirs publics attaquent en justice ou établissent des règles contre le téléchargement illégal. Mythe de Sisyphe, hydre de Lerne, la lutte contre les usages jugés illégaux a tenté d'évoluer en 15 années. Avec des succès notoires mais également des échecs cuisants...

2000, l'ère Napster... et le début des attaques

Les techniques permettant de télécharger évoluent depuis 15 ans. Corollaire de cette activité, la lutte contre le téléchargement illégal avance en parallèle. Pour partager toutes sortes de données existent alors des services comme IRC ou Usenet, mais pour l'échange de fichiers, Napster a la faveur des internautes.

Pour ceux qui disposent d'une connexion à Internet en 2000, Napster est en effet un carrefour incontournable pour obtenir facilement de la musique. Le service de pair à pair propose dès juin 1999 des fichiers au format MP3 à l'ensemble des internautes. Son interface facile d'accès permet de pouvoir se constituer simplement une bibliothèque musicale.

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Logo de Napster


La pratique va se développer en dehors des campus pour toucher les internautes désirant se procurer les dernières sorties mais aussi des éditions numériques d'albums non-réédités ou des versions en concert. En 2000, le single de Madonna baptisé « Music » fuitera sur Napster avant même sa disponibilité dans le commerce. Un épisode qui offre au service une visibilité mondiale mais qui a le don d'énerver passablement les représentants de l'industrie du disque.

Dès 2000, la RIAA, soutenue par les majors du secteur attaque Napster devant les tribunaux. Elle lui reproche de nuire au droit d'auteur des artistes en proposant leurs contenus gratuitement, et ce, sans aucune autorisation. La justice demandera à l'outil de le maintenir mais uniquement pour les contenus présents de manière légale. Napster ne sera pas en mesure de remplir ces obligations et sera donc obligé de rendre les armes. Il fermera en juillet 2001 et annoncera une année plus tard sa faillite.

Le roi est mort, vive le roi

La fermeture de Napster contribue à créer d'autres services. KaZaA, eMule/eDonkey, The Pirate Bay, Megaupload, le streaming, PopCorn time... vont chacun leur tour provoquer l'ire des autorités et des professionnels. Les gouvernements successifs vont donc mener des attaques contre ces différents services par le biais de mesures réglementaires mais également de retentissantes attaques en justice.

En France, outre les textes régissant la contrefaçon du code de la propriété intellectuelle (articles L335-4 à L335-7) pouvant aboutir à une peine maximale de 3 ans de prison et de 300 000 euros d'amende, les pouvoirs publics cherchent à adapter la législation aux habitudes. Dès 2001, la directive européenne sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information essaie de protéger les auteurs, artistes et interprètes. Elle sera plus tard le point de départ de la loi DADVSI.

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Les artistes disposent alors d'un droit exclusif d'interdire la reproduction de leurs œuvres originales et de leurs copies. Cette compétence concerne tous les moyens et toutes les formes possibles. Une œuvre peut, à certaines exceptions près (copie privée, en cas de citation...) ne pas être copiée, si le titulaire d'un droit le demande.

Parallèlement à l'émergence de ces premières règles, dès 2004, les premières plaintes contre des internautes français utilisant des logiciels en P2P arrivent. La société civile des producteurs phonographiques (SCPP) va même jusqu'à accuser une vingtaine de personnes pour téléchargement illégal. L'objectif des représentants des professionnels du secteur est que ces internautes écopent d'une sanction financière dissuasive. Une stratégie du poing de fer clairement affirmée alors que la même année, iTunes débarque en France.

Une charte contre le piratage

Acteurs de l'industrie du disque et fournisseurs d'accès à Internet s'organisent. En juillet 2004, sous la houlette de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, ils éditent une charte dont l'objectif est de pouvoir joindre par e-mail les internautes se procurant de la musique piratée afin de les avertir des risques encourus.

Il est toutefois rappelé que les FAI ne peuvent agir qu'après une décision de justice. De même, ces fournisseurs s'engagent à ne plus mener de campagnes publicitaires encourageant au téléchargement illégal. Il s'agit donc là d'une charte de bonne conduite, sans réelle valeur, mais dont le but est de concerner une partie de la « chaîne Internet » à la question du piratage.

Mais à partir de 2006, un texte va rebattre les cartes en tentant d'infliger des peines plus légères, mais également plus automatiques, aux internautes.

La loi DADVSI ou le retour à la case prison

L'une des idées directrices de la loi DADVSI est de mettre en place une sorte d'amende automatique pour les personnes qui téléchargent ou mettent à disposition des fichiers sans aucune autorisation sur les réseaux P2P. La salée va de 38 euros pour les adeptes du téléchargement à 150 euros pour ceux qui ont fait le choix de mettre à disposition des fichiers protégés par le droit d'auteur.

La loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), ne passera pas l'étape du Conseil constitutionnel, tout du moins sous sa forme initiale. Les Sages jugeant que ce procédé d'amende nuira au principe d'égalité entre tous les citoyens. Le système de délit pour contrefaçon a donc à nouveau vocation à s'appliquer, et les internautes surpris en train de télécharger risquent alors une peine maximale de 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende.

Les risques sont également importants en ce qui concerne les personnes qui souhaitent diffuser ou faciliter des méthodes permettant de casser les DRM, ces verrous numériques apposés sur certains fichiers afin de les protéger de la copie. Les peines peuvent alors aller jusqu'à 6 mois de prison et 300 000 euros d'amende.

Le texte est sévèrement critiqué par nombre d'associations et de professionnels. Malgré cette opposition, d'autres lois vont rapidement être en préparation.

Puis vint la Hadopi

Alors que les Etats-Unis font le choix clairement revendiqué de faire dans la visibilité, en fermant régulièrement des plateformes de streaming ou en bloquant des sites de téléchargement, la loi Hadopi se met en place. Suite à la remise du rapport Olivennes en 2007, la ministre de la Culture d'alors, Christine Albanel suit les recommandations du document.

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Exemple d'e-mail envoyé par la Hadopi


L'idée est de créer une autorité administrative indépendante dont la tâche serait de faire appliquer un système d'avertissements envers les internautes. L'objectif est d'enclencher un processus (la riposte graduée) visant à faire comprendre aux utilisateurs de logiciels en P2P que le partage de fichiers sans autorisation n'est pas légal.

Un internaute surpris en train de mettre à disposition de tels contenus est susceptible de recevoir un premier e-mail, suivi d'un second en cas de récidive lui rappelant qu'une adresse IP a été prise en train de permettre à d'autres internautes de se procurer un contenu sans aucune autorisation.

La riposte graduée se déroule donc en trois temps. Un internaute est tout d'abord averti et reçoit plusieurs notifications (e-mail, courrier) de son FAI. Si les infractions se répètent, la Hadopi a le pouvoir de transmettre son dossier à la justice. C'est grâce à cette « troisième phase » que la Commission de protection des droits passe véritablement la main à la justice.


Une partie de la loi créant l'autorité du même nom sera retoquée par le Conseil constitutionnel. Dès lors, si le processus de la riposte graduée subsiste, elle peut seulement conduire, au bout des multiples avertissements, à une transmission à la justice. C'est uniquement cette dernière qui est fondée à prononcer une peine à l'encontre d'un internaute.

A ce jour, quelques rappels à la loi ainsi que de légères amendes ont été prononcés sur les motifs avancés par l'autorité. Quant à la possibilité de couper la connexion Internet d'une personne, la sanction sera abrogée dès 2013. Malgré ce bilan, la Hadopi conserve actuellement son rôle d'avertissement des internautes mais également de mise en avant des plateformes légales.

The Pirate Bay, Megaupload : les grands procès

La France n'est pas la seule à s'attaquer à la question du téléchargement illégal. Après avoir décidé de pointer du doigt des utilisateurs classiques afin de donner des exemples (à l'image de Jamie Thomas Rasset ou de Joel Tenenbaum), les autorités américaines tentent d'agir non pas à l'encontre des personnes mais des plateformes elles-mêmes. Dans cette optique, deux procès majeurs, aux conséquences totalement différentes, vont faire bouger les lignes.

Parmi les procès les plus retentissants en matière de lutte contre le piratage, celui contre The Pirate Bay fait figure de proue. En 2009, la Suède énonce ses griefs à l'encontre de Fredrik Neij, Gottfrid Svartholm Warg, Peter Sunde Kolmisoppi et Carl Lundström, les fondateurs du site.

Ils sont accusés d'avoir permis le partage de films, musiques et autres jeux vidéo sans aucune autorisation de la part des titulaires de droits. Au rang des victimes, Warner Bros, MGM, Columbia Pictures Industries, Fox Films, Sony BMG, Universal et EMI estimaient leur préjudice, dès 2008, à plusieurs millions de dollars.

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Quant aux fondateurs de The Pirate Bay, leur ligne de défense a toujours été claire. Ils n'ont jamais hébergé les contenus échangés et estiment n'avoir pas tiré profit de leur activité. Si de nombreux responsables ont été condamnés (et ont même purgé leur peine pour l'affaire The Pirate Bay), le constat est simple. Après des années de procès, la plateforme est toujours bien présente, son modèle décentralisé la rendant plus que difficile à arrêter...

The Pirate Bay a en effet été maintes fois fermé ou bloqué par les fournisseurs d'accès. Toutefois, l'utilisation de miroirs lui a toujours permis de rester à flot et d'être accessible aux internautes.

Autre procès retentissant, celui de Megaupload. En janvier 2012, le FBI et le département américain de la justice ordonnent la fermeture du site appartenant à Kim Dotcom (ou Kim Schmitz). L'acte d'accusation fait dans la sévérité. L'ensemble des sites de la galaxie Mega ainsi que ses dirigeants sont accusés de racket, de violation de droit d'auteur, de blanchiment d'argent mais aussi d'avoir utilisé et investi dans un réseau informatique de distribution de contenus sous copyright, sans autorisation.

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Kim "Dotcom" Schmitz sourit encore, mais jusqu'à quand ?


Les Etats-Unis sortent donc l'artillerie lourde à l'encontre d'une plateforme connue d'alors permettant d'héberger facilement toute sorte de contenus. Les autorités reprochent également aux fondateurs de la plateforme de s'être enrichis grâce à du matériel, sans aucune autorisation.

Conséquence directe de cette attaque, Mega sera contraint de revoir son modèle. Une année après l'offensive américaine, Kim Dotcom lance Mega, un service de stockage en ligne sécurisé. Les conditions d'utilisation du service mentionnent alors clairement que l'échange de contenus soumis au droit d'auteur est formellement interdit... Une volte-face contrainte.

Assécher les revenus des sites pirates

Après ces multiples tentatives d'endiguer le piratage en ligne, la France choisit de se tourner vers les sources de revenus des sites. L'idée est simple : s'attaquer au portefeuille de ces plateformes en exerçant davantage de pression sur les annonceurs. Pour ce faire, la question de l'édition d'une charte de bonne conduite émerge à nouveau.

Les professionnels de la publicité ainsi que les régies sont encouragés à signer une charte. Ils s'engagent à ne plus placer d'annonces publicitaires sur les sites ne respectant pas le droit de la propriété littéraire et artistique. Les sites de streaming, de téléchargement direct ou de référencement sont principalement visés.

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Concernant les moyens de paiement, les pouvoirs publics devraient se tourner vers les organismes de type Visa, Mastercard ou bien encore PayPal afin qu'ils puissent être en mesure de bloquer toute transaction. Malgré le fait que ces mesures ont subi des échecs dans certains pays, notamment la Russie, le gouvernement poursuit cette voie.

Et on fait quoi maintenant ?

Contre le téléchargement illégal, a-t-on déjà tout tenté ? Cette maxime utilisée pour la lutte contre le chômage soulève une interrogation. Au fil de la lutte contre ces usages, un constat est limpide : le téléchargement ou le streaming (la consultation sans autorisation) existe toujours et semble rester dans les habitudes des internautes.

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S'il est difficile de prédire l'avenir de cette bataille, une chose est certaine : les lignes bougent à présent plus vite. Des plateformes gratuites offrent un accès légal à de nombreux contenus (YouTube, Dailymotion...) alors que des services payants font le choix (parfois contraint) de la sélection d'une partie d'œuvres (services de VoD, streaming payant...).

De nouvelles pratiques émergent (Vine, Periscope, Snapchat...) et permettent de casser les codes. Ce à quoi les entreprises répondent en général rapidement sur le fondement de textes de lois parfois rigides et pas forcément adaptés.

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