La NASA met 300 millions de dollars sur la table pour tester un moteur-fusée... nucléaire

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
15 août 2023 à 11h00
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© NASA
© NASA

L'agence américaine progresse sur son projet DRACO, pour une démonstration en orbite d'un étage propulsé avec un petit réacteur nucléaire à fission. Le vol est prévu en 2027, mais il reste plusieurs obstacles technologiques à développer. La NASA espère s'en servir à long terme pour des missions martiennes.

La DARPA, l'agence de recherche de la défense des États-Unis, a aussi mis la main à la poche.

Vers un tout premier étage de fusée nucléaire

Tout compris, l'addition monte pour l'instant à près de 500 millions de dollars. C'est certes une grosse somme, mais à la hauteur des enjeux qui sont désormais en partie dans le camp de Lockheed Martin. C'est l'industriel qui fera désormais office de référence sur ce projet DRACO (Demonstration Rocket for Agile Cislunar Operations). Celui-ci ne le précise pas dans son nom, mais il vise à développer et à démontrer les performances d'un étage propulsé par un moteur-fusée équipé d'un petit réacteur nucléaire à fission.

La NASA (300 millions) s'occupe principalement de la partie recherche sur le moteur et l'étage, tandis que la DARPA s'occupe des autorisations, de la mission et du contrat de lancement. BWX Technologies, entreprise installée en Virginie, s'occupera spécifiquement du design du réacteur, tandis que Lockheed aura à sa charge l'étage autour et l'intégration.

D'abord, ça chauffe, ensuite, ça pousse

Le principe, lui, est « simple », au moins en théorie : un ergol, ici de l'hydrogène conservé sous forme liquide, et donc refroidi à très basse température (20 K ou -253 °C), est injecté sous pression et chauffé grâce au réacteur à fission à très haute température (autour de 2 500 °C). Son expansion et son éjection par la tuyère créent la poussée, avec une efficacité théorique largement supérieure à celle d'un moteur-fusée d'architecture classique. Mais cela n'a jamais été testé sous cette forme (on appelle ce réacteur un NTP, pour Nuclear Thermal Propulsion) en orbite.

Avec ce projet, l'idée est de produire un étage de démonstration qui sera envoyé dans l'espace par SpaceX ou United Launch Alliance en 2027 (si tout va bien). Pour sa mise en orbite, il sera inactif et sécurisé. Puis, une fois au-delà de 700 à 2 000 kilomètres d'altitude, il sera activé et testé durant plusieurs mois.

Comme d'autres moteurs en développement, il faudra également tester ce moteur au sol © ArianeGroup / CNES
Comme d'autres moteurs en développement, il faudra également tester ce moteur au sol © ArianeGroup / CNES

Un gros travail pour passer au concret

Si le défi repose en grande partie sur le réacteur nucléaire et sur la qualité de la propulsion (poussée, stabilité, performances sur le moyen terme, etc.), ce n'est pas la seule barrière technologique à franchir. En effet, disposer d'un ergol super-refroidi comme l'hydrogène liquide sur des durées dépassant quelques heures est un véritable bras de fer contre la physique. Sur Terre, cela requiert de larges installations, des isolants et des compresseurs. Pour l'orbite, il faut des matériaux très performants pour garder l'ergol froid de façon passive au maximum, et des dispositifs les plus légers possible pour un éventuel refroidissement actif.

La démonstration de DRACO, si elle est positive, devrait alimenter les projets de la prochaine décennie, en particulier pour Mars, afin de disposer de moyens efficaces pour réduire le temps de trajet entre la Terre et la planète rouge, et donc pour la rendre plus accessible. Tout cela est encore lointain… Car, à l'instar des technologies nucléaires terrestres, l'idée d'envoyer un petit réacteur à fission en orbite risque, une fois dans sa phase concrète, de générer une levée de boucliers.

Source : ArsTechnica

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (15)

norwy
Attention à ne pas exploser la planète Mars à l’atterrissage… et la Terre au décollage !
zekkawa
Car, à l’instar des technologies nucléaires terrestres, l’idée d’envoyer un petit réacteur à fission en orbite risque, une fois dans sa phase concrète, de générer une levée de boucliers.<br /> Super article, ca serait bien cependant de détailler quel(s) serai(en)t les dangers d’un tel dispositif en cas de mal-fonction ?<br /> On se retrouver avec un mini/micro Chernobyl?
Adrift
Fantastique!<br /> On se demande pourquoi cela n’a pas ete fait plus tot!<br /> Ca fait un peut peur pour le carburant radioactif mais bon C’est pas pire qu’un ICBM, on imagine!<br /> Super article!
nicgrover
Beau feu d’artifice en perspective… Si cela ne fonctionne pas…<br /> Merci M Eric
tfpsly
zekkawa:<br /> ca serait bien cependant de détailler quel(s) serai(en)t les dangers d’un tel dispositif en cas de mal-fonction ?<br /> Adrift:<br /> On se demande pourquoi cela n’a pas ete fait plus tot!<br /> C’est en recherche depuis 1955 <br /> Wiki<br /> Development of solid core NTRs started in 1955 under the Atomic Energy Commission (AEC) as Project Rover and ran to 1973.<br /> …<br /> KIWI was the first to be fired, starting in July 1959 with KIWI 1. The reactor was not intended for flight and was named after the flightless bird, Kiwi.<br /> …<br /> Building on the KIWI series, the Phoebus series were much larger reactors. The first 1A test in June 1965 ran for over 10 minutes at 1090 MW and an exhaust temperature of 2370 K. The B run in February 1967 improved this to 1500 MW for 30 minutes. The final 2A test in June 1968 ran for over 12 minutes at 4000 MW, at the time the most powerful nuclear reactor ever built.<br /> …<br /> In January 1965, the U.S. Rover program intentionally modified a Kiwi reactor (KIWI-TNT) to go prompt critical, resulting in immediate destruction of the reactor pressure vessel, nozzle, and fuel assemblies. Intended to simulate a worst-case scenario of a fall from altitude into the ocean, such as might occur in a booster failure after launch, the resulting release of radiation would have caused fatalities out to 183 m (600 ft) and injuries out to 610 m (2,000 ft).<br /> …<br />
gothax
Eric merci<br /> Maintenant polluer la Terre c’est fait, polluer l’espace c’est fait et s’ils se ratent alors Mars sera polluée (oui ée car c’est une girlz)
Martin_Penwald
C’est déjà arrivé avec un générateur thermoélectrique à radioisotope.<br /> fr.m.wikipedia.org<br /> Cosmos 954<br /> Pour le voilier portant le même nom que l'opération "Morning Light", voir Morning Light (clipper).<br /> modifier Cosmos-954 était un satellite espion de l'Union soviétique de type Radar Ocean Reconnaissance Satellite (RORSAT) et rendu célèbre pour avoir été en 1978 la cause du premier incident spatial nucléaire.<br /> Le satellite est lancé le 18 septembre 1977 depuis le cosmodrome de Baïkonour par un lanceur Tsyklon-2.<br />
ebottlaender
Tout dépendrait de la source du problème. Pour un échec au lancement, on peut prévoir un dispositif suffisamment sécurisé et solide pour que le matériel radioactif ne soit pas désintégré et puisse être contenu.<br /> Pour un échec en fonctionnement en orbite, je ne suis malheureusement pas expert sur la question. J’imagine qu’il existe de quoi stopper ou du moins limiter la réaction tout en apportant un refroidissement externe. Ce qu’il faut éviter c’est une explosion ou une désintégration avec envoi de matière radioactive (et cette éventualité, c’est ça qui va générer des levers de boucliers ^^).
zekkawa
Merci pour ces précisions, tes articles sont vraiment passionnants, accessibles et détaillés.<br /> Un bonheur au milieu de ce site qui devient de plus en plus une machine a click.
Maspriborintorg
La NASA avait déjà lancé en 1965 SNAP-10A, réacteur nucléaire spatial qui alimentait en énergie électrique un moteur ionique.
philouze
«&nbsp;On se retrouver avec un mini/micro Chernobyl?&nbsp;»<br /> c’est très probablement calculé par défaut pour être sous la criticité d’une explosion du combustible lui-même.<br /> Par contre une bombe sale c’est très possible, surtout avec de l’hydrogène dans le dispositif pour bien diffuser de la poussière de combustible.<br /> On imagine aussi que la clé c’est un stock de combustible nucléaire minuscule exploité au maximum possible, de façon à ce que la portée d’une explosion soit «&nbsp;mesurée&nbsp;»
yassc
ebottlaender:<br /> Vers un tout premier étage de fusée nucléaire<br /> Il ne sera pas utilisé depuis la Terre, dans ce cas, il ne s’agit pas d’un 1ere étage, mais à minima, du second.<br /> ebottlaender:<br /> avec une efficacité théorique largement supérieure à celle d’un moteur-fusée d’architecture classique<br /> Il s’agit de fusée à propulsion chimique. On ne parle pas d’ergol dans la situation (présente, apriori) où on n’a pas de comburant, et carburant.
ebottlaender
Il y a confusion dans votre lecture, ce n’est pas un «&nbsp;premier étage&nbsp;» qui est nucléaire, mais c’est un étage de fusée qui est nucléaire, et c’est le premier du genre. C’est donc un premier étage de fusée nucléaire. En effet ce sera un étage supérieur ou de transfert.<br /> Je ne vois pas d’obstacle à utiliser ergol cependant, le terme étant tout à fait valable pour des monoergols à combustion spontanée. L’objectif est d’ailleurs exactement le même : chauffer l’ergol rapidement et à très haute température pour profiter de l’expansion du gaz chaud et de sa poussée. Le cas échéant, j’utiliserai un autre terme en regardant ce qu’utilisent nos spécialistes de l’agence nationale.
Chirokee
On entend d’ici le brouhaha
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