Apple et les opérateurs : les révélations de Cash Investigation (màj)

08 octobre 2015 à 11h15
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Elise Lucet et son équipe de Cash Investigation ont encore frappé. Cette fois, le poil à gratter s'est glissé dans le pull à col roulé d'Apple. Les journalistes ont mis la main sur un document confidentiel émanant de SFR : 42 pages où l'opérateur accuse Apple de pratiques commerciales imposées qui, si elles s'avèrent fondées, sont assez « brutales » (un adjectif utilisé dans le reportage). Mise en avant des iPhone en boutique, interdiction de faire de la publicité pour des concurrents, quantités d'achat énormes... des contraintes exigées par la marque qui auraient conduit les opérateurs à augmenter les tarifs de leurs abonnements, pour tous les consommateurs.

Mise à jour du 8 octobre 2015 : cette actualité a suscité de nombreuses réactions de votre part, et nous nous réjouissons qu'un débat s'installe. Seulement, nous tenons à apporter une précision, un éclairage compte tenu de certains propos qui reviennent souvent parmi les commentaires. Cash Investigation est souvent pointé du doigt, tantôt pour les méthodes employées, tantôt pour la forme du documentaire. L'insistance d'Elise Lucet qui tombe sur ses interlocuteurs comme un cheveu sur la soupe a de quoi énerver, le parti-pris latent prête le flanc à la critique. Néanmoins, il faut bien garder à l'esprit qu'il s'agit d'un reportage ciblant une audience très vaste, diffusé à une heure de grande écoute : les choix de réalisation sont en partie contraints par ce formatage télévisuel. Il faut accrocher l'attention et ne plus la lâcher. A défaut d'être irréprochable, la recette Lucet est efficace.

Pour ce qui est du fond, Cash Investigation aborde généralement des sujets qui ont le mérite de lancer des discussions. Là encore, le reportage vise un public non expert, et pour cette audience, les informations apportées sont instructives. Elles ouvrent les yeux sur une pratique dont tout le monde ne maîtrise pas les ficelles. Il est évident que ceux qui travaillent dans la grande distribution, d'une manière générale dans le commerce ou le marketing connaissent déjà ces pratiques, qui sont loin d'être l'apanage d'Apple. Mais il reste nécessaire d'informer les autres, ceux qui ne savent pas - et qui ne sont pas forcément dupes - plutôt que de verser dans le fatalisme ou le dénigrement. Pour rester dans le domaine de la high-tech, Intel a déjà eu des comptes à rendre auprès de la Commission européenne sur des accusations similaires (et peut-être même pires encore).

Actualité publiée le 7 octobre 2015 :

Dans le cadre d'un reportage intitulé « Marketing : les stratégies secrètes », les journalistes de Cash Investigation se sont attardés sur les pratiques commerciales d'Apple à l'égard des opérateurs. Lors de leur enquête, ils ont réussi à récupérer une note confidentielle de SFR constituée de 42 pages à charge contre Apple, portant sur la période 2008 à 2012, et destinée à la direction chargée de la Concurrence de la Commission européenne. C'est l'organe responsable du respect des lois du marché.

Pour planter totalement le décor, le ministère de l'Economie et des Finances a décidé d'attaquer Apple pour clauses abusives fin 2014, après confirmation des informations de ladite note par les services d'enquête de Bercy. L'instruction est en cours, c'est pourquoi nous sommes tenus de relater les faits avancés dans le reportage avec la réserve de rigueur. Quels sont-ils ?

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La Commission européenne et le document de 42 pages

D'après le document de SFR, Apple exigerait d'abord des efforts particuliers des opérateurs, définis de manière contractuelle, sur la mise en avant de ses produits en boutique. « Au moins jusqu'en 2012 » d'après les journalistes de Cash Investigation, les iPhone devaient être disposés sur des présentoirs spécifiques, formant des espaces distincts « premium », pour offrir la meilleure visibilité possible en magasin. Les opérateurs auraient également eu l'obligation de mettre deux vendeurs à disposition pour promouvoir les nouveaux modèles d'iPhone : dans le cas contraire, Apple se réservait alors le droit de mettre fin au contrat de manière unilatérale.

Pour assurer à Apple que ses exigences sont bien satisfaites, l'opérateur doit se soumettre à des contrôles de la part du californien, en boutique comme sur le plan comptable. Benjamin Douriez, rédacteur en chef adjoint de 60 Millions de consommateurs qui intervient dans le reportage résume ces points par cette tournure : « L'opérateur, il est quasiment pieds et poings liés face à Apple, il est fliqué ».

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La mise en avant en boutique

Les libertés laissées par Apple aux opérateurs semblent continuer de se réduire au fil du reportage. Notamment quand les journalistes de Cash Investigation ajoutent que les contrats signés avec les opérateurs leur interdisent de faire de la publicité pour d'autres marques auprès des clients possédant déjà un iPhone, et ce, pendant la durée du contrat et jusqu'à deux ans après son terme. Autrement dit, un client ayant acheté un iPhone en boutique ne se verra probablement jamais proposer autre chose qu'un iPhone à l'avenir. Une attitude qui semblerait déloyale envers les autres constructeurs, si là encore elle était avérée.

Et pour rester dans ce domaine de la communication, Apple ferait aussi payer aux opérateurs ses campagnes publicitaires qui les « associent ». Vous savez, ces films où l'on voit le logo de l'opérateur apparaître une ou deux secondes en fin de spot. La note de SFR est on ne peut plus explicite à ce sujet, puisqu'elle va jusqu'à donner le montant que l'opérateur est tenu de consacrer aux campagnes marketing pour les produits Apple : 10 millions d'euros chaque année, pour les iPhone seuls. SFR précise bien que les autres fabricants financent eux-mêmes ces dépenses de marketing.

« Vous faites en sorte que les opérateurs deviennent des Apple Store »

Le troisième chef d'accusation concerne les quantités qu'Apple imposerait aux opérateurs partenaires d'acheter pour avoir le droit de proposer des iPhone. Des quotas fixés à l'avance qui mettraient les opérateurs en difficulté. Il leur faudrait en effet faire des pieds et des mains pour réussir à écouler les stocks sans y laisser trop de plumes. Pour SFR, ce sont quatre millions de téléphones à la pomme à vendre en trois ans : « un tel niveau d'obligation minimale ne peut que conduire l'opérateur à se consacrer quasi exclusivement à la promotion des produits Apple ». Un responsable de SFR interrogé sous couvert d'anonymat et d'humour à la sauce Cash Investigation - le monsieur, rebaptisé Patrick, est interviewé sur la Place des Grands Hommes - tance le système : « On vous oblige d'emblée, pour avoir le produit, à prendre un engagement, d'en acheter un volume considérable. On n'a pas d'autre choix que d'être forcé à les revendre par tous les moyens. Parce que sinon la perte est énorme. (...) Vous faites en sorte que les opérateurs deviennent des Apple Store. ».

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Outre le caractère effectivement très contestable de ces pratiques supposées, le souci c'est que les dépenses occasionnées par les contraintes de la stratégie commerciale d'Apple auraient été répercutées sur le prix des forfaits par les opérateurs. Benjamin Douriez tient à éveiller les consciences : « Quelque chose qui doit nous choquer, nous, consommateurs, c'est que ce qui est écrit dans ce document, c'est que quelque part, on paye tous pour l'iPhone, on a tous payé pour l'iPhone, même les consommateurs, même les abonnés qui n'ont pas acheté d'iPhone (...) parce que les contraintes imposées par Apple ont poussé vers le haut le prix des abonnements mobiles. »

C'est en tout cas ce qui est écrit dans le document. Aujourd'hui, un procès est en cours. Le ministère de l'Economie et des Finances demande à Apple de rembourser 14 millions d'euros à SFR et 2 millions d'euros pour « trouble à l'ordre public économique ». Affaire à suivre... En attendant de connaître le dénouement de l'histoire, nous vous invitons à aller visionner le reportage sur le site Pluzz de France 2 : la partie concernant Apple démarre à 1 h 07 min 30 s.

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