Science et fiction : peut-on prédire les crimes comme dans Minority Report ?

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Dans Minority Report, nouvelle de Philip K. Dick éditée en 1956, les meurtres peuvent être prédits à l'aide des Précogs, des mutants doués de précognition. Une intrigue adaptée en 2002 au cinéma par Steven Spielberg, et qui a poussé un grand nombre de spectateurs à imaginer cette possibilité dans un futur proche. Prédire les crimes avant qu'ils n'arrivent, est-ce possible ?

Notre série Science et fiction s'intéresse aux prouesses technologiques aperçues dans le cinéma, à la télévision ou dans la littérature, et se questionne sur le positionnement, possible ou non, dans la réalité.

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Philip K. Dick était un auteur de science-fiction souvent visionnaire. Bien que décédé en 1982, il a eu le temps d'écrire de nombreux romans et nouvelles qui prédisaient à l'homme, et à la société en général, un avenir bien sombre. Entre les androïdes dépressifs de Blade Runner, les drogués guère plus joyeux de Substance mort ou encore, la manipulation des souvenirs dans Total Recall, la science et la technologie n'ont jamais le beau rôle dans le bien-être des individus. Dans cette optique, on se demande bien pourquoi Minority Report irait dans le sens inverse.

Criminel avant l'heure ?

Dans cette nouvelle de 1956, John Anderton, le responsable du programme Précrime, capable de prédire 99,8% des crimes avant qu'ils ne se produisent, est pris dans les rouages de son propre système lorsque celui-ci annonce qu'il s'apprête à tuer un homme qu'il ne connait pas. Traqué, Anderton va tenter de se dépêtrer de ce qui semble inéluctable.

L'adaptation au cinéma de cette histoire, réalisée par Steven Spielberg et mettant en vedette Tom Cruise, tient plus du film d'action que d'autre chose - c'est hélas souvent le cas avec les adaptations cinématographique de l'œuvre de Philip K. Dick. Néanmoins, elle pose quand même de nombreuses questions concernant le libre arbitre et l'influence d'une réalité conditionnelle : si un crime est prédit, n'est-ce pas en tentant de l'empêcher qu'Anderton va réaliser la prédiction, et donc devenir vraiment coupable ?

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Les Précogs dans leur bassin.

Evidemment, voir des crimes prédits par des mutants plongés dans un bassin et reliés par des machines, c'est de la science-fiction. Par contre, développer des algorithmes capables de réaliser ce type d'estimation devient réalité depuis plusieurs années. Il faut néanmoins démêler le fantasme de la réalité pour déterminer si l'histoire de Philip K. Dick tient encore de la science-fiction, ou lorgne du côté de l'anticipation.

Une affaire d'algorithmes

Comme les Précogs n'existent pas - ou alors, on nous cache tout - les chercheurs et criminologues qui se sont lancés dans la recherche autour de la prédiction des crimes utilisent principalement les algorithmes pour arriver à leurs fins. En 2011, nous parlions déjà sur Clubic de l'initiative de la police de Santa Cruz, en Californie, qui testait un logiciel destiné à réaliser des projections dans la ville, pour déterminer les endroits les plus prisés des criminels à certaines heures de la journée.

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Nommé CompStat, ce logiciel, conçu par un duo de mathématiciens, un anthropologue et un criminologue, fonctionne à l'aide de données concernant la criminalité locale. Il est ainsi capable de cartographier les crimes et délits qui ont déjà eu lieu, de recouper les emplacements avec les heures, et de donner, de cette manière, des indications aux forces de l'ordre pour prioriser tel ou tel endroit à une heure de la journée, ou un jour de la semaine. Les essais menés à Santa Cruz se sont avérés concluants et, depuis, CompStat est utilisé dans de nombreuses villes américaines, comme New York ou San Francisco. Sur le site de la police de la ville, on peut notamment lire que « CompStat est l'un des moyens pour suivre et redéployer les ressources dans nos efforts de diminution significative de la criminalité. » A défaut de prédire véritablement les crimes, le logiciel semble être utile aux autorités, qui affirment dans de nombreuses villes américaines qu'il aide à faire baisser la criminalité. Il fait partie intégrante du programme PredPol.

IBM s'en mêle

En 2012, c'est au tour d'IBM de s'intéresser à la question, avec un logiciel nommé Predictive Analytics. Dans ce cas, pas de ville à scanner, mais des fichiers de jeunes délinquants, analysés en fonction de différentes variables. L'objectif : « que les jeunes deviennent - et restent - des citoyens respectueux des lois » expliquait alors le Florida Department of Juvenile Justice, partenaire d'IBM pour l'expérience.

Le logiciel Predictive Analytics d'IBM est, en réalité, capable de brasser de nombreux types de données en vue de dégager des projections associées. L'analyse des dossiers des délinquants juvéniles n'est qu'une possibilité parmi d'autres. Le rapport de l'expérience en Floride laisse entendre que la démarche a permis de faire baisser le nombre d'arrestations de délinquants juvéniles entre 2010-11 et 2012-13, passant de 59 arrestations pour 1000 personnes, à 46, pour 1000. « Durant la même période, les admissions dans les centres de détention pour mineurs ont diminué de 26%, et le nombre de jeunes affectés à un service de probation a chuté de 15%. » Un programme qui fonctionne, mais qui s'avère des plus intrusifs.


En somme, prédire très clairement quand une personne précise commettra un crime est bien un élément de science-fiction. Mais la prédiction de crimes, ou de récidive, est cependant une perspective rendue possible par les algorithmes et le brassage des données. N'oublions pas que nous vivons à l'ère du big data, un terme qui rappelle étrangement celui de Big Brother : jamais autant d'informations n'ont été disponibles à la consultation pour chaque individu. Le fait de cartographier les habitudes, les attitudes, les déplacements fait aujourd'hui totalement partie du domaine des possibles. Il faut ajouter à cela les informations biométriques, et la reconnaissance faciale de plus en plus précise. Combien de temps reste-t-il avant que d'autres données viennent affiner les systèmes existants ? Difficile à dire. On peut néanmoins être certains d'une chose : les algorithmes veillent au grain.

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