Life is Strange : et si l’une des meilleures fictions de l’année était un jeu vidéo ?

06 novembre 2015 à 11h03
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Proposé de manière épisodique depuis le 30 janvier 2015, le jeu Life is Strange connait son épilogue avec la sortie du 5e et dernier chapitre, fin octobre. Un titre que l'on doit au studio Dontnod, qui a réussi à créer un univers unique, nous incitant à réfléchir au-delà de la sphère vidéoludique. Et si l'une des meilleures fictions de l'année était un jeu vidéo ? La question se pose, véritablement. Une rencontre avec Raoul Barbet et Michel Koch, les deux réalisateurs du jeu, a été l'occasion d'en apprendre plus sur la genèse du jeu, et ses enjeux.

Note : l'article évoque de façon générale certains des thèmes du jeu, mais ne spoile pas d'éléments importants de l'intrigue.

Incarner une adolescente dotée du pouvoir de remonter le temps, dans une petite ville d'Oregon pleine de mystères et de secrets plutôt perturbants : les bases de Life is Strange sont posées. Le nouveau jeu de Dontnod, qui reprend le principe du film interactif découpé en épisodes, tranche de manière assez radicale avec Remember Me, la précédente production du studio français. Sauf sur un point : le pouvoir de retour dans le passé de la jeune héroïne, Max. Il est en effet directement inspiré du concept de « Memory Remix » de Remember Me, dans lequel l'héroïne, Nilin, pouvait manipuler les souvenirs d'autrui et en changer le sens. « C'était l'un des éléments les plus innovants du jeu, et pourtant, il était très peu utilisé » explique Raoul Barbet, coréalisateur de Life is Strange. « Nous en avons fait l'un des éléments principaux de la quête de Max, en misant sur la variation temporelle. Ça fait partie de l'ADN du jeu. »

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Raoul Barbet et Michel Koch, les réalisateurs de Life is Strange

Pourtant, réduire Life is Strange à une aventure interactive dans laquelle l'héroïne peut remonter le temps est probablement la plus grosse erreur que l'on pourrait faire en parlant du jeu. Car au-delà de sa dimension fantastique, le jeu et son intrigue abordent des problématiques de société qui interpellent. « Notre idée de base, c'était de développer un univers crédible, dans lequel on allait glisser un élément fantastique » explique Michel Koch, l'autre réalisateur. Parmi les inspirations du duo, on trouve notamment les œuvres de Stephen King, des films comme Donnie Darko ou encore Twin Peaks, et des séries comme Broadchurch ou The Killing. Autant de références qui font mouche pour quiconque a déjà approché Life is Strange.

« C'est important de prendre son temps »

Sorti entre février et octobre 2015, au rythme moyen d'un épisode tous les deux mois, le jeu a su capter rapidement l'intérêt du public. Le premier épisode, vendu séparément des autres - proposés via un season pass - a intrigué environ 60% des joueurs, qui ont acquis les volets suivants.

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Il faut dire que dès les premières minutes, Life is Strange intrigue. De par son héroïne, Max, étudiante perdue, qui se retrouve confrontée au meurtre de Chloé, son amie d'enfance. Là, Max se découvre alors le pouvoir de remonter le temps et de changer les événements : c'est le début d'une histoire mélangeant paranormal, enquête, déboires d'adolescents et choix difficiles.

Et puis il y a le rythme et le parti-pris graphique, un rendu que les réalisateurs qualifient « d'impressionniste ». « On ne voulait pas que le joueur soit parasité par des micro-détails. On a aussi beaucoup travaillé sur la lumière, qui contribue à donner à l'ensemble une ambiance cotonneuse » raconte Michel Koch. Des choix esthétiques auxquels a été rattachée une intrigue lente, ponctuée de moments contemplatifs, auxquels le joueur peut adhérer ou non. « C'était important pour nous qu'on puisse prendre son temps en jouant. On voulait que ça se ressente. Si le joueur décide de s'assoir sur un banc, il aura droit à des plans supplémentaires, à des pensées de Max, à de la musique. On voit ça comme une récompense. »

Une quête de réalisme

La musique joue d'ailleurs un rôle important dans le jeu. Souvent utilisée de manière diégétique - les personnages écoutent la même musique que le joueur -, elle est composée de morceaux d'artistes connus, comme Mogwai, Syd Matters, Amanda Palmer ou encore Local Natives. Un ancrage dans le réel, voulu par les deux réalisateurs, qui ont également travaillé avec un scénariste américain, Christian Divine, natif de l'Oregon, pour rendre l'atmosphère d'Arcadia Bay crédible. « Notre vision de base n'était pas fausse, mais l'importance était dans les détails. Sur le parking de Blackwell, par exemple, nous avions dessiné des places de parking trop petites. Christian nous a dit « les pickups ne rentrent pas, là ». Nous avons élargi les places » explique Raoul Barbet.

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Le scénariste américain a également écrit les dialogues, pour les faire correspondre à la manière de parler des adolescents d'Oregon. « Aux Etats-Unis, il y a des argots qui varient selon les Etats. Christian s'est inspiré de la façon de communiquer de ses neveux et nièces. » Des recherches qui ont également servi à la rédaction des SMS et des e-mails que l'on trouve dans le jeu, bien que cela se ressente moins lorsqu'on joue avec des sous-titres français, en faisant moins attention aux dialogues anglais.

Mais le souci du détail ne s'arrête pas là. Les deux réalisateurs expliquent que de nombreuses recherches ont été réalisées pour rendre crédibles les possessions et la situation financière des personnages. « Pour la chambre de Chloé, on a fait des recherches pour déterminer quel budget pouvait avoir une ado dans l'Oregon. Ensuite, on est allé sur Craigslist faire des achats virtuels pour meubler et décorer sans dépasser le budget. » Même chose pour la maison de la mère de Chloé, qui correspond à ce que peut espérer posséder une personne dans sa situation, avec les problèmes d'argent qui vont avec.

Si les micro-détails esthétiques ne devaient, selon les réalisateurs, pas brouiller la vue du joueur durant sa partie, l'univers de Life is Strange fourmille donc de détails crédibles. Si ces derniers ne sautent pas nécessairement aux yeux d'un public français, les Américains ont, eux, été réceptifs. « Lors de notre première réunion avec les équipes US de Square Enix, on s'inquiétait de la réception du jeu, réalisé par des Français. A la fin de l'épisode, quand on a vu que les personnes présentes reprenaient les phrases de Chloé comme des gimmicks, on a compris que c'était gagné » se rappelle Raoul Barbet.

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Une implication au-delà du jeu

La construction de l'univers de Life is Strange, mais également de ses personnages est l'un des principaux éléments qui contribuent à faire du titre une expérience réellement immersive. Pour les deux réalisateurs, la construction épisodique de l'histoire est un facteur important dans l'implication du joueur, mais également dans son attachement aux personnages. « Comme sur une série télé, le découpage en épisodes permet de prendre le temps de poser les bases de l'histoire, mais également de développer des intrigues secondaires. » Ainsi, plusieurs personnages, présentés de manière stéréotypée à la base, se révèlent au fil des chapitres. « Au début du jeu, le joueur est dans une zone de confort. Le premier épisode se termine d'ailleurs d'une manière assez simple. »

Ce n'est clairement pas le cas des suivants, qui utilisent la technique télévisuelle du cliffhanger, en terminant les chapitres sur des moments intenses. « La publication épisodique crée un effet d'attente très fort. Les joueurs ont débattu, développé des théories en attendant la suite. » Et comme le jeu aborde des thèmes complexes, parfois sombres, comme le harcèlement, la maladie ou la mort, il y a matière à ce que le débat sorte du cadre vidéoludique.

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« On a discuté très tôt de cette perspective avec Square Enix » explique Michel Koch. A la fin de chaque épisode, un message défile en bas de l'image, invitant le joueur à visiter une page Web si l'un des thèmes abordés l'a touché. Sur ladite page, on trouve des numéros de téléphone de service d'aide, comme SOS Amitié en France. « On reçoit également beaucoup de mails sur le sujet, ainsi que des lettres manuscrites » ajoute Raoul Barbet.

Cet impact sur le public, l'équipe de Dontnod ne l'avait pas totalement anticipé. « On avait sous-estimé l'attachement aux personnages » avoue Raoul Barbet. Durant l'entretien avec les deux réalisateurs, difficile - pour ne pas spoiler - de ne pas évoquer certains choix compliqués imposés dans le jeu. Mais dans sa démarche de lenteur, Life is Strange permet, pour les choix les plus critiques, de s'arrêter le temps nécessaire avant de les réaliser. Parmi les joueurs, nombreux sont ceux qui avouent avoir stoppé la partie pendant plusieurs heures pour bien réfléchir avant une décision critique, ou relancer un chapitre pour changer une situation non assumée ou non voulue.

Une situation que les réalisateurs expliquent par la dimension réaliste du jeu. « Si on compare à un jeu comme The Walking Dead, par exemple, la donne est différente. On peut se retrouver face à des choix difficiles, mais dans la vraie vie, je ne me demanderai jamais comment réagir face à un zombie » illustre Michel Koch. « Dans Life is Strange, si on met de côté la dimension fantastique, on se retrouve face à des choix qui ont une vraie dimension sociétale. » Hasard du timing, certains sujets abordés dans le jeu ont eu un écho direct dans l'actualité.

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Les deux réalisateurs assurent cependant que le scénario n'a concrètement pas changé en cours de production, en fonction des réactions des joueurs. Ils avouent cependant avoir procédé à quelques ajustements, parfois anecdotiques, mais qui parlent assurément à ceux qui ont joué au jeu : « La plante verte de la chambre de Max, si on l'arrose trop, elle meurt. On s'est rendu compte que cette plante amusait les joueurs. Au début, elle ne devait mourir que si on ne l'arrosait pas. Mais on a des plantes au bureau, et on a fait le constat qu'elles peuvent mourir si on les arrose trop. On a ajouté ce détail en cours de route. » Une pointe de réalisme supplémentaire, et un clin d'œil aux joueurs les plus assidus.

« On aimerait bien une saison 2 »

Si les chiffres de vente de Life is Strange ne sont pas évoqués, le jeu est considéré comme un succès, aussi bien chez Dontnod que chez Square Enix, qui l'a édité. « On est allé au bout de ce qu'on voulait » assurent les réalisateurs, y compris sur le concept du retour dans le temps, dont l'utilisation peu exploitée dans Remember Me avait laissé une pointe de frustration à l'équipe.

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Le développement de la communauté est aussi un élément qui a dépassé les attentes du studio, tout comme les discussions générées par le jeu. « Sur Tumblr, une internaute s'est lancée dans une analyse minutieuse de la symbolique autour des animaux que l'on croise dans le jeu » s'amuse Raoul Barbet. Les deux réalisateurs ne semblent cependant pas enclins à dissiper le mystère autour des différentes théories des fans.

Ils se disent également intéressés par la perspective d'une « saison 2 », mais dans une vision anthologique, avec de nouveaux personnages : « L'histoire de Max et Chloé est terminée » assurent-ils. La boucle temporelle est donc bouclée... pour cette fois. L'intégralité de Life is Strange est disponible sur PC, PS3, PS4, Xbox One et Xbox 360, uniquement en dématérialisé.

Audrey Oeillet

Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques...

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Journaliste mais geekette avant tout, je m'intéresse aussi bien à la dernière tablette innovante qu'aux réseaux sociaux, aux offres mobiles, aux périphériques gamers ou encore aux livres électroniques, sans oublier les gadgets et autres actualités insolites liées à l'univers du hi-tech. Et comme il n'y a pas que les z'Internets dans la vie, j'aime aussi les jeux vidéo, les comics, la littérature SF, les séries télé et les chats. Et les poneys, évidemment.

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