Un Japonais sur la Lune avant les Européens : ce qui se cache derrière la surprenante décision de la NASA

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
13 avril 2024 à 15h29
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Konnichiwa ! (en vrai, c'est Buzz Aldrin, vous l'aurez reconnu) © NASA
Konnichiwa ! (en vrai, c'est Buzz Aldrin, vous l'aurez reconnu) © NASA


Ce 10 avril, l'agence spatiale américaine a jeté le pavé dans la mare. Au terme d'un accord renforcé dans le projet Artemis, le Japon obtient deux places sur des missions qui se poseront sur la surface lunaire. Ils devanceront leurs collègues européens... mais pourquoi ? L'explication est à la fois simple et très politique.

Des sourires, une signature, et surtout une grande déclaration à la clé. Ce 10 avril à Colorado Springs, en marge de l'une des grandes conférences annuelles du secteur spatial, la NASA et son homologue japonaise, la JAXA, ont cimenté un accord préparé de longue date. Et l'annonce a fait l'effet d'un coup de tonnerre.

Un astronaute japonais sera donc le premier non-Américain à fouler le sol lunaire dans le cadre du projet Artemis. D'abord, c'est une ouverture qu'il convient de saluer, car jusqu'à une déclaration de la vice-présidente américaine Kamala Harris en décembre dernier, il n'était pas acté que la NASA emmènerait ses partenaires internationaux sur la surface lunaire. Ensuite, il faut comprendre que cet accord est conditionnel.

Ce n'est pas gratuit

En effet, il ne s'agit pas que d'une bonne entente internationale entre partenaires japonais et américains. Si le contexte de la région Asie-Pacifique y est favorable (pivot américain, accords de défense AUKUS) et permet un appui politique, il s'agit bien d'un échange. Ces places pour des astronautes japonais, la JAXA les a négociées en échange de l'apport d'un grand véhicule lunaire pressurisé, véritable base mobile, sur laquelle les équipes japonaises travaillent en amont depuis plusieurs années.

Baptisé « Lunar Cruiser » et développé sur une base publique-privée avec Toyota, il est question de ce véhicule depuis 2020, mais il s'agissait alors d'un concept dont le design n'était pas figé, tout comme les contours exacts du projet. Désormais, la JAXA s'est engagée à livrer cet imposant véhicule pour qu'il soit envoyé sur la surface lunaire d'ici 2031 au plus tôt, entre les missions Artemis VI et VII.

L'administrateur de la NASA devant la maquette de rover pressurisé japonais © NASA
L'administrateur de la NASA devant la maquette de rover pressurisé japonais © NASA

Le Lunar Cruiser devra, comme ses cousins plus petits récemment financés par la NASA (les LTV, pour Lunar Terrain Vehicle), être pilotable depuis la Terre ou la Lune, offrir un sas, accueillir deux astronautes pour des durées allant jusqu'à 30 jours et fonctionner sur la Lune environ 10 ans. Il s'agit ni plus ni moins du véhicule d'exploration à roues le plus grand et le plus ambitieux de toute l'histoire spatiale !

Pourtant, ce n'est pas qu'une annonce. Dans le cadre de l'accord du 10 avril, l'envoi d'un astronaute japonais sur la surface lunaire est bel et bien conditionné à l'avancée des travaux sur le rover. Si tout se passe bien, cet astronaute fera partie de la mission Artemis IV, pour l'instant envisagée en 2028-2029. Calendrier qu'il faut évidemment prendre avec des pincettes…

Des remous logiques en Europe

En Europe, cette décision de la NASA a fait beaucoup de bruit. Et en effet, en mettant de côté cet impressionnant Lunar Cruiser, l'ESA en fait sur le plan comptable bien plus que son homologue japonaise au service du programme Artemis. L'Europe spatiale fournit le module de service de toutes les capsules Orion, et elle s'est aussi lourdement investie dans la future station en orbite lunaire, la Gateway. Alors, comment comprendre que ce soit un Japonais qui foulera la Lune avant un Européen ?

D'abord, il faut savoir que pour la NASA, chaque poste est différent. La livraison des modules de service d'Orion n'est en réalité pas purement une contribution au programme Artemis. Il s'agit du « paiement en nature » de l'ESA pour sa participation actuelle à l'ISS depuis la fin des cargos automatisés ATV. Plutôt que de donner de l'argent, l'ESA fournit les modules de service d'Orion. Donc, par extension, pour les Américains, c'est déjà une rétribution, pas besoin de nous offrir des places en échange.

Et puis, c'est marqué ESA dessus, hein... © NASA / ESA
Et puis, c'est marqué ESA dessus, hein... © NASA / ESA

De la même façon, la station Gateway est gérée comme une entité à part entière pour Artemis, et ceux qui y participent obtiennent des sièges soit pour des missions autour de la Lune, soit pour des missions dans cette station Gateway. L'ESA, qui est la plus grande contributrice hors États-Unis, dispose de trois « sièges », le Canada deux (dont celui qu'occupe Jeremy Hansen sur la mission Artemis II), les Émirats arabes unis un siège, et le Japon un également, en plus des places pour des missions à la surface.

On peut tout à fait critiquer cette forme de vassalisation face aux États-Unis. En gros, ces derniers monnaient des places sur des missions dans des infrastructures qui, sans les partenaires internationaux, n'existeraient pas. Mais chaque agence savait, en s'y engageant, dans quels termes seraient menées les négociations. In fine, chaque partenaire devrait s'y retrouver, mais les frictions naissent parce que les missions Artemis, du moins d'ici la fin de la décennie, seront rares. Artemis II en 2025, peut-être Artemis III en 2026-2027, puis Artemis IV… Il n'y en a pas pour tout le monde.

À jamais les deuxièmes

Enfin, le président Biden, lorsqu'il a annoncé qu'un Japonais serait le premier non-Américain à marcher sur la Lune, aurait bien fait d'ajouter dans la même phrase « dans le cadre du programme Artemis ». Car la Chine pourrait bien voler ce titre à la fois aux Japonais et aux Européens.

Son propre alunissage est prévu en 2029-2030, et ce plan progresse à grands pas ces dernières années. Et n'oublions pas les privés, qui commencent à promettre la Lune à leurs clients…

Source : SpaceNews

Eric Bottlaender

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

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Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

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Commentaires (8)

gothax
L’Europe devrait miser aussi sur la Chine … Enfin pour cela il faut des testiburnes<br /> Merci Eric pour l’article
tfpsly
devrait miser aussi sur la Chine<br /> Surtout pas!
bizbiz
De Kobayama à cobaye humain il n’y a qu’un pas. The first star shintozen ?<br /> Fichtre! Je suis allé les chercher loin ces deux là .<br /> Désolé <br /> &lt;------
Martin_Penwald
Un astronaute japonais sera donc le premier non-Américain à fouler le sol lunaire<br /> Pas forcément. Si la Chine décide de répliquer les missions Apollo, juste histoire de faire quelques pas et des photos, il reste possible que le prochain type sur la Lune soit Chinois (parce que 2027 pour Artemis III, ça me paraît court. Possible, mais loin d’être certain). L’Histoire retiendrait que lors de la 2nde course à la Lune, la Chine a devancé les États-Unis, même si le profil des missions Artemis est largement plus ambitieux que Apollo.<br /> D’un point de vue symbolique, ça serait une victoire pour le pouvoir chinois et je pense que Xi Jinping en est conscient.
carinae
Oui mais géo politiquement c’est impensable pour l’instant… La Chine…ne joue pas dans le camp des démocraties .<br /> Ceci étant l’état d’esprit de la NASA n’est pas quelque chose de nouveau… en terme économique c’est quelque chose de très répandu… Beaucoup de grosses entreprises ne sont rien sans les sous-traitants, Airbus en tête par exemple, et pourtant…on n’entend jamais parler d’eux…
juju251
Martin_Penwald:<br /> Un astronaute japonais sera donc le premier non-Américain à fouler le sol lunaire<br /> Pas forcément.<br /> C’est littéralement dit dans l’article.
Euronouille
C’est tout de même fou ,il y a infiniment plus de chances que ce soit un Chinois ,les USA sont totalement dépassés dans ce domaine !
Euronouille
Vous parles du camp des oligarchies néo libérales?
Martin_Penwald
Bah oui, mais l’article ne considère pas que la Chine arrive sur la Lune avant les États-Unis. J’admets que ce n’est pas l’hypothèse la plus probable, mais on n’est pas dans l’impossible non plus.
Martin_Penwald
’faut pas délirer non plus, non, il n’y a pas infiniment plus de chance que le premier non-Américain soit un Chinois. Ça coûte très cher d’envoyer des bonhommes sur la Lune, et les États-Unis collaborent avec d’autres pays, la Chine n’a pas autant de ressources.
codeartemis37
euh les gars de base c’est le japon, pas la chine.<br /> ne confondez pas (je suis franco-japonnais )
carinae
Non des démocraties…point … Pas de politique ou de discours a la noix sorti de nulle part…
juju251
Martin_Penwald:<br /> Bah oui, mais l’article ne considère pas que la Chine arrive sur la Lune avant les États-Unis. J’admets que ce n’est pas l’hypothèse la plus probable, mais on n’est pas dans l’impossible non plus.<br /> [quote]<br /> Enfin, le président Biden, lorsqu’il a annoncé qu’un Japonais serait le premier non-Américain à marcher sur la Lune, aurait bien fait d’ajouter dans la même phrase « dans le cadre du programme Artemis ». Car la Chine pourrait bien voler ce titre à la fois aux Japonais et aux Européens.<br /> [\quote]<br /> Ceci est une copie de l’avant dernier paragraphe.<br /> Je ne vois pas comment tu peux dire que l’article ne considère pas le fait que la Chine arrive sur la Lune avant les USA. <br /> Alors, oui, j’insiste, mais c’est lourd les remarques sur ce qui est ou non dans un article alors que … ben, si c’est dedans.
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