🔴 French Days en direct 🔴 French Days en direct

Virgin Galactic : l'avion-fusée était propulsé au cash, et tout pourrait s'arrêter

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
10 novembre 2023 à 17h35
6
Le VSS Imagine, qui devait prendre le relai du VSS Unity. Crédits Virgin Galactic
Le VSS Imagine, qui devait prendre le relai du VSS Unity. Crédits Virgin Galactic

Terrible paradoxe pour les équipes de Virgin Galactic. L'avion-fusée VSS Unity vole à présent une fois par mois et réussit enfin sa mission d'emmener touristes et scientifiques à la frontière de l'espace. L'entreprise doit pourtant prendre à bras le corps sa situation financière désastreuse. Continuer ou s'arrêter ?

L'année prochaine, Virgin Galactic fêtera ses vingt ans. Vingt ans que Richard Branson, fasciné par l'avion-fusée SpaceShipOne, a décidé de mettre en place une entreprise destinée à emmener un maximum de monde visiter la « dernière frontière », celle de l'espace. Vingt années difficiles, parce qu'il a fallu passer des promesses irréalistes passées entre 2004 et 2008 à la véritable conception et aux tests d'un avion-fusée capable d'embarquer six passagers (2 pilotes, et 4 passagers à l'arrière, dont un accompagnant). Il a fallu convaincre les investisseurs, attirer des clients, nouer des partenariats, promettre monts et merveilles au Nouveau-Mexique pour obtenir la construction du premier astroport entièrement privé, le SpacePort America.

Des ennuis techniques, des accidents (dont 2 mortels, malheureusement), des soucis de fiabilité, des problèmes de permis, l'égo du patron milliardaire… Virgin Galactic va fêter ses vingt ans, et en 2023, elle a réussi son pari. L'avion-fusée VSS Unity vole une fois par mois depuis mai, les clients sont ravis, le service est incroyable. Et tout ça va s'arrêter.

VSS Unity utilise son système de queue pivotante pour se redresser lors de sa rentrée atmosphérique. © Virgin galactic
VSS Unity utilise son système de queue pivotante pour se redresser lors de sa rentrée atmosphérique. © Virgin galactic

La bourse n'a plus la cote

Virgin Galactic est une société cotée en bourse depuis 2019. Une manœuvre qui a permis à l'entreprise de lever des fonds, certes, mais qui s'est malheureusement soldée par une lourde dévalorisation au fil du temps. Pourquoi ? Tout simplement parce que les équipes de Richard Branson et David Colglazier ont monté de belles promesses absolument irréalisables du point de vue technique, ce qui implique qu'elles n'ont pu rapporter que des revenus mineurs. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les investisseurs et les gestionnaires de fonds ont fini par comprendre que ce n'est pas avec son avion-fusée que Virgin Galactic allait gagner de l'argent. En tout cas, pas avant d'en avoir toute une flotte, de voler trois fois par semaine et d'embarquer des centaines de touristes-astronautes.

Le cours en bourse évolue en eaux profondes. ©Google
Le cours en bourse évolue en eaux profondes. ©Google

Un nouveau trimestre en berne !

Le titre en bourse a perdu énormément de valeur, et les comptes en banques de Virgin Galactic, encore bien garnis de cash, se vident à un rythme intenable. Prenez le 3e trimestre 2023, qui s'est terminé le 30 septembre. L'entreprise cumule 1,7 million de dollars en revenus, avec pourtant 3 vols à son actif ! Dans le même temps, Virgin Galactic a dépensé 105 millions de dollars. Et même en annonçant fièrement des revenus qui vont « doubler au dernier trimestre », pas besoin d'avoir fait beaucoup de maths au collège pour voir que l'entreprise ne va pas couvrir ses dépenses.

Virgin Galactic a ainsi sobrement annoncé qu'elle poursuivrait les vols du VSS Unity jusqu'à l'été 2024 avec un total de 2 ou 3 vols à venir avant de mettre l'avion au moins sous cocon (et plus probablement à la retraite) pour se concentrer sur le développement de ses futurs appareils « Delta Class ».

L'Imagine… Au placard

Dans le même temps, Virgin Galactic a, sans ambages, mis 185 de ses 1 000 employés sur le carreau : une large partie de l'équipe dédiée aux vols du VSS Unity, et tous les ingénieurs et techniciens travaillant sur le deuxième avion-fusée, le VSS Imagine. Ce dernier, dévoilé l'an dernier, était déjà très en retard pour réaliser son premier vol. Il ne décollera probablement jamais, malgré des équipements de bord censés optimiser la puissance, les surfaces et le profil intérieur pour embarquer 5 à 6 passagers et voler plus régulièrement que son prédécesseur.

Dommage ? Sans doute, mais à quel point était-il prêt ? Virgin Galactic a sans doute estimé que les coûts de la fin du développement, comme pour son exploitation aux côtés du VSS Unity, n'auraient jamais permis de le rentabiliser. Le constat est très simple, même avec deux ou trois vols chaque mois, Virgin Galactic serait très loin du compte. Sauf que… C'est un réveil bien étrange.

Virgin Galactic évoquait un temps sa "delta class" avec ces visuels. Mais impossible de savoir s'ils sont encore d'actualité © Virgin Galactic
Virgin Galactic évoquait un temps sa "delta class" avec ces visuels. Mais impossible de savoir s'ils sont encore d'actualité © Virgin Galactic

Cherche business model (urgent)

En effet, cela fait plusieurs années, y compris « post COVID-19 » (la crise sanitaire fut citée plusieurs fois dans les rapports financiers) que l'entreprise fondée par Richard Branson perd de l'argent. Elle n'en a même, finalement, jamais gagné. Chaque année supplémentaire a été obtenue par des levers de fonds, des prêts de long terme, des parts, l'entrée en bourse, puis la dilution des actions… Virgin Galactic perd entre 350 et 600 millions de dollars par an. Il reste toutefois aujourd'hui 1,1 milliard de dollars dans les comptes, la situation n'est donc pas si horrible, mais les actionnaires s'impatientent, car l'horizon n'est pas rose.

En effet, les futurs appareils de la « Delta Class » ne sont pas prêts à voler, et ils n'ont même jamais été exposés au public. Difficile de les transformer en machine à revenus en moins de 18 mois dans ce cadre, aussi Virgin Galactic a-t-elle choisi de réduire ses dépenses. Même ainsi, le timing sera difficile à tenir. Il faudra en tout cas un processus plus rapide que pour le VSS Unity, qui a démarré ses essais en vols en 2016, avant de passer la frontière des 80 km d'altitude en décembre 2018.

Avant une nouvelle génération d'avion-fusée

D'autre part, Virgin Galactic fait peut-être les frais d'une conception difficile pour ses avions-fusées. En effet, il s'agit tout de même des seuls appareils au monde avec ces capacités. Ce n'est pas tout à fait un avion, avec son moteur-fusée, ses contrôles et son système de queue pivotante. Et ce n'est pas tout à fait une navette spatiale non plus avec ses ailes légères, ses capacités de planeur et ses parois allégées.

Mais à conception unique, contraintes uniques aussi. Il aura fallu presque deux ans, entre juillet 2021 et mai 2023 pour une grande période de maintenance du VSS Unity et de son avion porteur. La cellule de l'appareil était-elle prête pour plus qu'une dizaine de vols ? Ne s'agit-il que d'un problème financier, ou l'entreprise a-t-elle avec son retour d'expérience intégré de nouvelles données qui montrent qu'il n'est pas possible de lui faire subir trop d'allers-retours à la frontière de l'espace ? Après tout, on parle de vols à 3 500 km/h avec une forte accélération, de sensibles décélérations, des vibrations…

En comptant le vol du fondateur et milliardaire Richard Branson, le VSS Unity a réalisé 6 vols pour des clients externes. © Virgin Galactic
En comptant le vol du fondateur et milliardaire Richard Branson, le VSS Unity a réalisé 6 vols pour des clients externes. © Virgin Galactic

À partir de l'été 2024, Virgin Galactic retourne donc « en sommeil » pour les vols suborbitaux. De quoi revenir encore plus fort avec la prochaine gamme d'appareils ? C'est en tout cas le pari actuel, et celui que les gestionnaires de l'entreprise trouvent le plus sensé. Reste qu'avec 10 vols à plus de 80 km d'altitude et 49 passagers au total (28 individus), le VSS Unity a battu de nombreux records et prouvé que techniquement, il était capable de toucher du doigt un véritable service régulier… Fut-il pour de riches passagers et quelques vols scientifiques seulement.

Son seul concurrent, la capsule New Shepard de Blue Origin, est également arrêté au sol depuis septembre 2022 suite à un accident lors d'un vol non habité. Des rumeurs internes (évoquées récemment dans un article d'Ars Technica) pointent également sur un possible arrêt du programme, qui n'est pas du tout rentable.

L'acteur William Shatner, qui regarde la Terre par les hublots de New Shepard en 2021. © Blue Origin
L'acteur William Shatner, qui regarde la Terre par les hublots de New Shepard en 2021. © Blue Origin

La fin des vols suborbitaux pour touristes ? Pour seulement 100 fois le prix, l'orbite vous tend les bras.

Source : Space News

Eric Bottlaender

Spécialiste espace

Spécialiste espace

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser v...

Lire d'autres articles

Je suis un "space writer" ! Ingénieur et spécialisé espace, j'écris et je partage ma passion de l'exploration spatiale depuis 2014 (articles, presse papier, CNES, bouquins). N'hésitez pas à me poser vos questions !

Lire d'autres articles
Vous êtes un utilisateur de Google Actualités ou de WhatsApp ? Suivez-nous pour ne rien rater de l'actu tech !
google-news

A découvrir en vidéo

Rejoignez la communauté Clubic S'inscrire

Rejoignez la communauté des passionnés de nouvelles technologies. Venez partager votre passion et débattre de l’actualité avec nos membres qui s’entraident et partagent leur expertise quotidiennement.

S'inscrire

Commentaires (6)

kroman
En gros, les milliardaires s’envoient en l’air avec l’argent d’autres investisseurs crédules😅
pecore
Virgin Galactic, il y a longtemps qu’on en avait pas parlé mais des derniers articles lus je me rappelle qu’il s’agissait essentiellement d’un vol parabolique à très haute altitude et que les passagers ne gagnaient pas le titre d’astronautes. Je ne sais pas si depuis, le vol a gagné en altitude ou en durée.<br /> Comment Virgin a pu penser qu’ils arriveraient à devenir rentables et surtout, quelles promesses qui n’ont pas été tenues avaient bien pu faire Virgin pour convaincre les investisseur de la viabilité du projet, ça je serai curieux de le savoir.
kiwi5
du temps de nulle part ailleurs je me souviens de richard branson qui avouait reussir (depuis qu’il etait ado) parce qu’il mentait tout le temps, je devais etre le seul qui regardait ce jour la
Bombing_Basta
Quelle boîte de Branson gérée par Branson est rentable ?
philouze
théoriquement, tout est rentable du moment que tu peux vendre le billet suffisamment cher.<br /> Dans le cas de VG, il faudrait donc 3x plus de rotations avec 0.5x plus de passagers par vol pour atteindre la renta.<br /> C’est donc que les billets sont 4.5x sous leur tarif de renta.<br /> Branson a surestimé à la fois la taille de sa cible, et les moyens que cette cible était prête à débourser pour faire ce voyage
Kabloona
Quand on s’intéresse à l’exploration spatiale, ces soucis de milliardaires paraissent bien futiles. Personnellement je me moque un peu qu’une poignée de milliardaires ne puisse plus faire ce genre de trip… Ce qui m’importe, c’est toutes ces missions qui nous permettent de mieux connaître l’univers et aussi notre retour sur la lune et peut être un jour, voir des humains aller plus loin.
Voir tous les messages sur le forum
Haut de page

Sur le même sujet