Michel GRUNDSTEIN : Pour une vision stratégique du KM

18 avril 2000 à 00h00
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Michel GRUNDSTEIN est ancien Conseiller de Direction chez Framatome et responsable des Méthodes et Applications Innovantes dans le domaine des technologies de l'Information. Précisément, il a conduit de nombreuses études d'approfondissement techniques et

JC- Monsieur Grundstein, bonjour. Pour faire écho à une problématique soulevée par certains membres du club NetKM, quelle(s) solution(s) méthodologique(s) préconisez-vous afin d'effectuer une analyse du besoin pertinente dans le cadre d'un projet KM ? Sur quoi vous appuyez-vous ?

MG- Pour répondre à cette question, je crois qu'il est préférable de raisonner en terme de capitalisation (laquelle ne doit pas être confondue avec un simple stockage de connaissances). Précisément, je crois que cette capitalisation consiste à considérer que certaines connaissances utilisées et produites par l'entreprise sont un ensemble de richesses dont on peut tirer des intérêts, et à partir desquelles il est possible d'accroître son capital. De ce point de vue, la problématique peut alors être abordée sur trois niveaux :

- Au niveau stratégique et décisionnel, on parle plutôt de management des connaissances. Il s'agit ici d'une véritable fonction d'entreprise qui renvoie à une approche top/down de la problématique (très haut niveau)
- A l'instar de Nonaka, on peut ensuite envisager la capitalisation des connaissances au niveau de l'encadrement intermédiaire (middle up/down management). Cette approche privilégie l'idée selon laquelle le cadre intermédiaire est le mieux placé pour articuler la stratégie de l'entreprise (dont il a connaissance) avec les problèmes de terrain qu'il est chargé de résoudre.
- On peut enfin envisager la problématique de capitalisation au niveau de la réalisation de projets industriels. Elle peut alors être considérée comme une fonction complémentaire qui se greffe naturellement à tout projet de réalisation. C'est à ce niveau là que se situe la méthodologie GAMETH issue d'une démarche que j'ai pilotée chez FRAMATOME, et qui me permet de répondre à votre question. Il s'agit d'une approche bottom-up destinée à repérer les connaissances cruciales. Elle a précisément trois caractéristiques : (1) elle est dirigée par les problèmes en ce sens qu'elle s'attache à leur énoncé ; (2) elle relie la connaissance à l'action et est donc centrée sur des connaissances liées directement aux activités. Elle s'appuie sur des processus dits « sensibles », ceux dont les enjeux sont reconnus collectivement.; (3) la troisième caractéristique de la méthode GAMETH est de réaliser une modélisation des processus par construction en commun. L'idée est de s'appuyer sur les processus sensibles pour essayer d'isoler les activités critiques et, plus finement, de déterminer les problèmes sur lesquels portent les connaissances cruciales.. Globalement, cette troisième caractéristique permet de mettre en évidence les connaissances cachées, celles dont l'organisation n'a pas conscience car non inscrites dans les procédures.

JC- Lors d'un précédent entretien accordé à Neteconomie, vous avez évoqué l'idée selon laquelle la problématique de capitalisation des connaissances diffère de celle de management des connaissances. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de cette distinction ?

MG- Effectivement, il existe d'un côté une problématique permanente de capitalisation des connaissances telle que définie précédemment. Je l'ai d'ailleurs modélisée sous la forme d'un schéma comprenant quatre facettes, chacune des facettes correspondant à un problème :

- Un premier problème est de repérer les connaissances cruciales, c'est à dire les identifier, savoir où elles sont, les caractériser (sont-elles communes ou profondes ?), estimer leur valeur économique, puis les hiérarchiser afin de savoir ce que l'on veut faire et donner des priorités. Cette facette permet globalement de préciser l'opportunité et les orientations d'une opération de capitalisation.
- Un deuxième problème consiste à préserver les connaissances cruciales jugées importantes. L'idée ici est donc de les acquérir, de les modéliser, de les formaliser et de les conserver.
- Un troisième problème est celui de la valorisation des connaissances. Si elles sont explicites et formalisées de façon pertinente, la valorisation se transforme progressivement en gestion documentaire intelligente. Quoiqu'il en soit, dans tous les cas, des questions relatives à la diffusion, la combinaison, la confidentialité et la sécurité des connaissances doivent être posée. Par ailleurs, la valorisation des connaissances tacites peut être envisagée sous une forme beaucoup plus dynamique dès lors que l'on s'oriente davantage vers les contacts, les interactions et les échanges entre les personnes plutôt que vers la formalisation de leurs connaissances.
- Enfin, se pose le problème de l'évaluation permanente des connaissances afin de les actualiser, les mettre à jour et les enrichir au fur et à mesure du retour d'expérience et de la création de nouvelles connaissances.

Je dirais globalement que les problèmes évoqués dans cette description du schéma de capitalisation ont toujours existé et qu'ils existeront toujours (indépendamment du phénomène de mode du Knowledge Management). Parallèlement à ces problèmes, se pose la question « Comment faire tout ça ? ». Et c'est précisément ici que se positionne la problématique de management des activités de gestion des connaissances de l'entreprise (on manage des activités et non des objets connaissances ! ! !). En ce sens, il n'y a pas d'opposition entre d'un côté la problématique de capitalisation puis de l'autre celle de management des activités de gestion des connaissances (appelée couramment « management des connaissances ») puisque la seconde est un moyen de répondre à la première et de la réaliser. Cette problématique constitue alors la cinquième facette du schéma global car elle renvoie directement aux enjeux stratégiques et aux programmes d'action de l'entreprise, à la mise en place d'un pilotage opérationnel (= activation d'une où plusieurs facettes de la problématique décrites précédemment).

JC- La distinction évoquée précédemment (capitalisation / management) signifie-t-elle alors qu'une politique de capitalisation n'a de sens qu'au regard de l'utilisation ultérieure des connaissances capitalisées (en référence à la notion de retour d'expérience)?

MG- Cette question m'oriente vers les enjeux, vers le sens que l'on donne au KM et à tout ce qui a été dit au cours des deux premières questions (tout du moins si l'on n'est pas un vendeur de logiciel). Finalement, la question pourrait être « d'où vient la problématique de capitalisation des connaissances ? ». Je dirais simplement qu'elle est très ancienne et que nous ne faisons aujourd'hui que perpétuer l'histoire de Monsieur Jourdain (nous avons toujours fait et faisons encore de la gestion des connaissances sans le savoir).

La raison de cette situation réside dans le fait que depuis tous temps l'entreprise doit innover sur les produits, les procédés, mais aussi sur les services (il y a d'ailleurs actuellement un basculement entre la fourniture de produits et de services). L'entreprise doit aussi effectuer une innovation organisationnelle (entreprise étendue, e-business...). A côté de l'innovation, elle doit aussi réduire ses cycles et ses coûts de conception, de production, de mise à disposition sur le marché de ses produits et services. Enfin, l'entreprise doit accroître sa réactivité, sa flexibilité et être sans cesse capable d'améliorer la qualité de sa production. Pour résumer, je dirais que les maîtres mots du KM sont innovation, réduction des cycles, augmentation de la réactivité et amélioration permanente de la qualité. La différence avec le passé résulte uniquement dans le fait que, compte tenu de la plus grande zone d'autonomie accordée aux acteurs présents dans l'entreprise, cette dernière est passée d'une approche implicite de la gestion des connaissances à une approche consciente et volontariste.

JC- D'un point de vue plus global, lors d'une interview accordée au Monde, Patrick Prieur a fait un parallèle entre le Knowledge Management et les politiques "qualité" mises en place au sein des entreprises depuis plusieurs années. Qu'en pensez-vous ?

MG- Au départ, la qualité était une problématique puis, avec le temps, est devenue progressivement une démarche. Comme je l'ai dit précédemment, je pense que la problématique de capitalisation des connaissances est une problématique qui a toujours existé. Peut être deviendra-t-elle aussi dans le temps une démarche, mais, à mon sens, à la seule condition que la problématique de management des activités de gestion des connaissances s'impose pleinement dans les entreprises.

JC- Parallèlement à la question précédente, pensez-vous comme certains que le KM n'a de raison d'être que par la gestion des risques qu'il induit (vision défensive) ou, au contraire, qu'il est préférable de l'envisager comme un domaine propre à modéliser des solutions répondant aux problèmes concrets d'une organisation (vision offensive)?

MG- Le Knowledge Management est une fonction de management. Elle s'appuie sur une volonté de la Direction Générale de l'entreprise qui désire s'engager dans une démarche consciente et volontariste. L'idée est entre autres de répondre à la problématique de capitalisation des connaissances, laquelle est exacerbée par les influences de la mondialisation du marché, par la libéralisation de l'économie et l'impact des nouvelles technologies. Vu comme ça, il s'agit moins d'adopter une stratégie de gestion des risques que de faire en sorte d'être innovant, réactif et performant. Cela répond évidemment à une vision offensive.

JC- En guise de conclusion, diriez-vous que le Knowledge Management (en tant qu'activité) s'inscrit naturellement dans la stratégie globale de l'entreprise ?

MG- Le Knowledge Management, tel que définit jusqu'ici, se présente comme une activité consciente et volontariste qui contribue à la mise en œuvre de toutes les activités entrant dans la stratégie globale de l'entreprise. Elle doit aider la direction des Ressources Humaines, la direction financière, la direction Qualité, la direction R&D, les unités de production, la fonction de marketing. En tant que telle, la fonction de Knowledge Management doit s'articuler avec la stratégie de l'entreprise. On ne fait pas du KM pour faire du KM. Il faut que cela corresponde à au moins deux buts : augmenter la valeur ajoutée des processus de conception, de production, de vente mais aussi améliorer les processus de fonctionnement. Tout ceci constitue un ensemble, un tout. On pourrait dire que le but ultime correspond à une utilisation et à un partage permanents des connaissances (tout au moins des connaissances cruciales pour les processus à valeur ajoutée) entre les différents acteurs de l'entreprise. En d'autres termes, le but stratégique ultime serait de rendre l'entreprise apprenante.

Entretien réalisé en Avril 2000 par Jérôme CHAUDEURGE (Consultant KM chez EURIWARE)
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