Live Japon : Sony aux abois

25 janvier 2009 à 12h04
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Il y a tout juste une semaine, on vous racontait que, depuis trente ans précisément, le géant de l'électronique japonais, Sony, rêvait de donner naissance à un nouveau produit révolutionnaire de la trempe du baladeur Walkman, en 1979. Que nous réserve-t-il comme surprise pour le printemps prochain ? Mystère. Pourtant, trouverait-il la martingale cette année, que cela ne changerait dans l'immédiat rien au fait que Sony se trouve dans une situation alarmante qu'il n'avait pas imaginée il y a ne serait-ce qu'un mois.

Le mastodonte a en effet prévenu jeudi qu'il risquait cette fois de subir de très lourdes pertes financières à la fin de l'année budgétaire en cours (fin mars), à cause bien sûr des effets dévastateurs de la crise économique mondiale sur ses ventes, en chute libre. Sony s'attend désormais à endurer un déficit net annuel de 150 milliards de yens (1,25 milliard d'euros), alors qu'il tablait auparavant, c'est-à-dire le mois dernier, sur un gain du même montant, après avoir déjà sabré ses prévisions initiales en octobre. Bref, plus les semaines passent, plus sa santé se détraque. Et si on en reparle ici, c'est que le cas Sony (tout comme celui de Toyota) est emblématique de la gravité impensable des répercussions de la récession internationale sur l'industrie japonaise, fortement dépendante des marchés extérieurs, surtout des plus durement affectés par le plongeon de la demande. Sony réalise en effet 80% de ses ventes hors du Japon.

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"L'environnement dans lequel nous évoluons s'est rapidement détérioré et personne dans le secteur électronique n'est épargné", a souligné le PDG de Sony, Howard Stringer, lors d'une conférence de presse. La publication des résultats de son concurrent sud-Coréen Samsung Electronics l'a confirmé, bien que ce dernier profite de la faiblesse actuelle de la devise de son pays, le won. Et M. Stringer de souligner que dans une bourrasque pareille, les moindres faiblesses d'une entreprise la rendent extrêmement vulnérable. Sony venait en effet tout juste, l'an passé, de renouer avec une forte rentabilité. Mais il n'était pas encore suffisamment solide, il restait encore par certains côtés fragile, convalescent, ce qui ne pardonne pas quand tout, autour, part soudainement de travers. A l'instar de nombreux autres groupes nippons de l'électronique grand public ou de l'automobile, Sony subit en effet d'une part l'impact du ralentissement des ventes, et d'autre part celui, tout aussi dommageable, de la hausse du yen face au dollar, à l'euro et à plusieurs autres devises. Ce phénomène, consécutif à la crise financière, amoindrit sa compétitivité et dévore ses marges.

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Sony avait établi ses plus récents calculs en octobre sur un dollar à 100 yens et un euro à 140 yens, mais la devise japonaise s'est appréciée bien au-delà, rendant vite ses estimations totalement caduques. D'où la révision de jeudi 22 janvier qui s'appuie sur un dollar à 90 yens et un euro à 120 yens, des chiffres plus proches de la réalité de ces dernières semaines, encore que le billet vert et la monnaie européenne aient encore faibli ces jours-ci.

L'impact fort de ces taux de change défavorables couplé à une décrue des achats de matériels audiovisuels, dont les prix ne cessent de baisser sur fond de concurrence terrible, font désormais craindre au fleuron nippon un déficit d'exploitation annuel de 260 milliards de yens (2,16 milliards d'euros) alors qu'il espérait encore un profit de 200 milliards de yens il y a quelques semaines. Autrement dit, l'entreprise n'est plus rentable. "Nos coûts fixes sont encore trop élevés et nos procédés insuffisamment efficients", a répété jeudi M. Stringer. "Nous n'avons pas d'autre alternative que de revoir totalement la façon dont nous développons, fabriquons et vendons nos produits, car sans cela il sera difficile de revenir à la profitabilité", a averti le PDG américain, excluant de quitter le navire au milieu de la tempête. "Nous devons naviguer dans cet environnement adverse, et ma première responsabilité est de restaurer la profitabilité du groupe. Ce ne sera pas facile, mais nous pouvons et nous allons le faire en intensifiant nos efforts", a-t-il averti.

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Sony n'était pas tombé dans le rouge sur le plan opérationnel depuis 1995. Cette fois, ce qui apparaît plus préoccupant et révélateur de l'ampleur du mal, c'est que la maladie a contaminé son tronc, les produits électroniques, et non pas seulement des branches fragilisées momentanément par des erreurs stratégiques ou un facteur sectoriel ponctuel, comme cela était le cas lors des autres périodes déficitaires endurées par le groupe.

"C'est bien pire que je ne le pensais", s'est exclamé un analyste d'Okasan Securities, Kazumasa Kubota. Une réaction identique a saisi l'auteur de ces lignes ce jeudi quand le document comptable est tombé sur son bureau, n'osant pas envoyer la dépêche urgente tant les chiffres officiels lui paraissaient hors de proportion avec les pires estimations qui avaient circulé quelques heures plus tôt. Et M. Kubota de pointer du doigt la dégringolade invraisemblable des ventes. "Ce n'est pas parce que la gamme des produits Sony n'est pas attractive, mais parce que les prix des appareils électroniques grand public ont dévissé de l'ordre de 30%", assure-t-il.

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La nouvelle prévision de chiffre d'affaires de Sony pour les douze mois d'avril 2008 à mars 2009, 7700 milliards de yens (64 milliards d'euros), est de fait inférieure de 14,5% à la précédente qui était de 9000 milliards. Au début de l'année budgétaire, Sony tablait même sur 9200 milliards après avoir encaissé 8.700 milliards l'an passé. Si son coeur de métier, les produits électroniques, est le plus sérieusement touché, les consoles et jeux, un domaine qui résiste généralement mieux face aux crises de consommation, ne va pas non plus afficher les performances attendues au départ, là encore à cause du yen et de ventes moins bonnes qu'espéré. Voilà qui nous fait guetter avec impatience les résultats trimestriels et prévisions annuelles actualisées du maître du jeu vidéo nippon, Nintendo.

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Pour faire face à cette désastreuse situation commerciale, Sony avait déjà annoncé mi-décembre un vaste plan de restructuration prévoyant la suppression de 16.000 postes au niveau mondial dans son activité centrale, l'électronique, répartis à parts égales entre salariés fixes et temporaires. Ces lourdes décisions sociales s'accompagnent d'un remaniement structurel qui comprend une révision des projets d'investissement, une part nouvelle de sous-traitance et des fermetures d'activités non rentables et liquidations d'usines non compétitives. "Des mesures additionnelles de restructuration sont nécessaires pour réduire les coûts fixes", estime M. Kubota, mais, reconnaît-il, "je ne sais pas qui peut aujourd'hui prescrire le bon remède dans un contexte aussi déplorable".

De fait Sony a dans le même temps affiché jeudi un additif à son plan d'économies selon lequel d'autres activités vont à leur tour être mises au régime. Le développement de logiciels sera en partie confié à des sous-traitants étrangers, notamment en Inde. Les salaires des cadres seront réduits, et les trois plus hauts dirigeants renonceront à leur prime annuelle. Reste que "faire des économies n'est pas une fin en soi", a martelé M. Stringer. "Il faut que nous soyons plus compétitifs, plus dynamiques, plus innovants". Ce dernier, venu de l'univers d'Hollywood et de la TV, veut davantage de synergies entre les différentes activités du groupe (notamment les équipements audiovisuels et l'informatique), ainsi qu'une meilleure relation entre le matériel et les logiciels. Sony sait qu'il reste en effet encore handicapé par son retard à l'allumage dans le domaine des services associés à ses produits, même s'il a encore prouvé cette semaine que sur le plan purement technique il avait encore des ressources.

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Quelques jours avant de prévenir qu'il allait sombrer dans le rouge, l'ex-champion des tubes cathodiques Trinitron avait en effet présenté à Tokyo une nouvelle série de téléviseurs à écran à cristaux liquides (LCD) en haute-définition à basse consommation qui s'éteignent seuls lorsque personne ne daigne les regarder. Sony affirme que ces nouveaux modèles "Bravia V5", de 40 et 46 pouces de diagonale (102 et 117 centimètres), sont les moins gourmand du marché à tailles égales. Ces performances sont, selon le groupe, le fait de l'adoption d'un nouveau système de rétroéclairage moins énergivore et de diverses astuces pour minimiser les déperditions. Ces TV sont par exemple dotées d'un détecteur de présence humaine couplé à une minuterie programmable. Si personne n'est devant l'écran durant un laps de temps prédéfini ou bien si le téléspectateur s'endort (donc devient inerte), elles se mettent en veille totale après avoir dans un premier temps simplement coupé l'affichage. Ces TV sont aussi capables d'ajuster leur luminance en fonction de l'éclairage de la pièce pour éviter là encore de consommer de l'énergie en pure perte alors que l'image peut être parfaite même faiblement lumineuse lorsque le téléviseur se trouve dans un environnement obscur. Elles sont enfin pourvues d'un bouton qui interrompt le courant comme si elles étaient débranchées, contrairement aux interrupteurs des autres téléviseurs qui n'empêchent pas la consommation permanente d'un faible courant.

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Selon des études gouvernementales, la télévision serait responsable de 10% de l'électricité absorbée dans un foyer japonais, derrière la climatisation (équipement que tout le monde possède ici) et le réfrigérateur. Du coup, l'argument de la consommation électrique pèse lorsqu'il faut remplacer un téléviseur, qu'il s'agisse d'un des premiers modèles à écran plat (plasma ou LCD) ou a fortiori d'une vieille lucarne à tube cathodique. Pour sensibiliser le chaland, les hypermarchés de l'électronique n'hésitent pas à placer un compteur à côté des téléviseurs allumés pour afficher leur voracité électrique et permettre ainsi aux clients de comparer non seulement le rendu des images, mais aussi le rendement à l'usage.

Au-delà de la guerre tarifaire, tout cet affichage est de plus en plus nécessaire pour renouveler les argumentaires de vente alors que les consommateurs nippons ont de plus en plus le moral en berne, chaque jour ajoutant son nouveau lot de données économiques toutes plus épouvantables les unes que les autres. On se croirait revenu dix à quinze ans en arrière, quand le Japon payait au centuple ses excès financiers et autres égarements de la fin des années 1980. A l'époque les Nippons ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-mêmes, la bulle qu'ils avaient gonflée leur avait explosé à la figure. Mais aujourd'hui, ils sont d'autant plus désarçonnés qu'ils se sentent victimes impuissantes d'une débâcle sans précédent venue de loin mais qui n'épargne aucun pays, surtout lorsqu'ils sont, comme lui, tributaires du reste du monde.

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