Live Japon : révolution musicale et sonore

31 mai 2008 à 00h31
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Voici comme chaque semaine un reportage réalisé par notre correspondante permanente au Japon, Karyn, qui, tour à tour, repère pour Clubic les innovations techniques nippones et décrypte les usages singuliers que font les Japonais des nouvelles technologies. Dépaysement garanti.

Il n'aura peut-être pas échappé aux fidèles lecteurs de cette chronique hebdomadaire que son auteur exilée au pays du Soleil-Levant était un tantinet technophile, mélomane et audiophile. Autant dire que sur ce plan, le Japon lui donne toute satisfaction, puisque s'y produisent régulièrement des virtuoses, dans des salles à l'acoustique parfaite, devant un public nippon respectueux et connaisseurs (Keith Jarrett, entre autres, en sait quelque chose), et qu'il ne se passe pas de surcroît une semaine sans que des innovations dans le domaine de l'audio n'attirent l'attention. Et pour cause, l'archipel compte une myriade de petites ou grosses entreprises qui, ayant fait de l'électro-acoustique l'un de leurs domaines de prédilection, s'ingénient à développer des appareils surprenants, soit par leurs performances sonores, soit par les technologies inusitées mises en oeuvre.

Quelques produits récemment dévoilés ou commercialisés en apportent une brillante illustration. C'est notamment le cas d'un nouveau type de machine musicale conçu par Yamaha, un nom qui évoque autant les synthétiseurs, consoles audio et pianos... que les motos. Ces deux types d'activités, sans liens apparents, émanent en effet du même vaste conglomérat dont l'embryon s'est formé il y a plus d'un siècle.
Appelé "Tenori-on" (le son à portée de main), ce nouvel instrument de musique numérique, accompagné d'un marketing planétaire rondement mené et savamment cadencé, se taille déjà un franc succès auprès des musiciens amateurs et professionnels grâce à un mode de composition visuel ludique. Le "Tenori-on" est un séquenceur qui se présente sous la forme d'une sorte d'ardoise carrée couverte de 256 boutons lumineux (16 rangées de 16) auxquels le compositeur assigne ponctuellement des échantillons sonores ("samples"), pré-programmés ou enregistrés par ses soins.

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La création s'effectue en appuyant sur les différentes touches pour générer des boucles musicales répétitives et superposer dessus d'autres sons, comme lors de l'enregistrement successif sur différentes pistes de plusieurs instruments différents jouant chacun leur partition. Le compositeur sélectionne les boutons et programme des effets de façon plus ou moins aléatoire selon son sens musical et son expérience, en utilisant d'avantage sa capacité d'écoute et son doigté que le solfège. Plusieurs modes aux effets multiples sont proposés pour composer, qu'il est bien complexe d'expliquer ici, mais qui offrent un éventails incommensurable de possibilités rigolotes. Les sons sont synchronisés avec l'allumage de la touche correspondante, produisant du même coup une animation qui permet ainsi de "voir" la musique créée tout en l'écoutant, et ce en mode recto-verso. La taille de l'objet est calibrée pour offrir une bonne prise en main, y compris pour les menues mimines des filles.

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« Il ne faut guère plus de 20 minutes pour apprendre à se servir de cet instrument », affirme un chercheur spécialisé dans les technologies sonores innovantes de Yamaha, Yu Nishibori, rencontré au siège de Yamaha Music à Tokyo. C'est lui le technicien-concepteur de l'objet avec un compositeur de musique électro-acoustique japonais, Toshio Iwai. Le morceau créé ex-nihilo devant nos yeux, en quinze minutes, aurait exigé plusieurs jours de travail avec un logiciel de composition sur ordinateur, moins intuitif, selon M. Nishibori. « Avec un programme sur PC ou Mac, même conçu pour le grand public, il faut passer plusieurs heures à tenter de comprendre les différentes options et paramètres avant de pourvoir créer quelques mesures qui musicalement tiennent à peu près la route », estime-t-il, à juste raison. Il est vrai que, tests à l'appui, un profane peut immédiatement s'amuser et élaborer une mélodie supportable avec le "Tenori-on" sans se perdre dans des menus déroulants à n'en plus finir.

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Le développement de cet instrument, que possèdent déjà quelques artistes renommés, comme la star nippone de la création électro-acoustique Ryuichi Sakamoto (un ami d'Iwai), ses ex-compères du Yello Magic Orchestra (YMO), les musiciens de Björk, des DJ vedettes et une poignée de veinards amateurs britanniques, américains ou français, a demandé six ans de boulot. Cela a exigé la fabrication de quatre prototypes successifs avant de satisfaire le perfectionniste Toshio Iwai, selon M. Nishibori. Iwai, Iwai, ce nom vous dit peut-être quelque chose. Bon sang, mais c'est bien sûr! L'homme est le réalisateur d'un autre produit dont le "Tenori-on" semble en partie inspiré : il s'agit du jeu musical "Electroplankton" proposé sur console DS par Nintendo. Un petit programme inclassable dans les catégories de jeux connues qui, lui aussi, permet d'improviser des mélodies en dirigeant plus ou moins le mouvement de bestioles sur l'écran tactile de la DS, animaux virtuels qui émettent des sons relatifs à leurs mouvements et aux obstacles qu'ils heurtent. Le but du jeu est surtout de passer le temps et de se relaxer.

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Quant au « Tenori-on », il cible a priori tous les musiciens en herbe et confirmés avides de nouvelles sensations. Cependant, il rencontre un écho plus large, auprès du grand public, phénomène que ses créateurs n'avaient pas à ce point anticipé. L'objet intrigue donc au-delà du cercle des initiés. Une des amies de l'auteur de ces lignes, pourtant peu technophile et pas du tout musicienne, s'est par exemple prise de passion pour cet objet tant son fonctionnement lui a paru ouvrir la voie à une nouvelle forme de pratique musicale, notamment pour développer la créativité des enfants. On la vit se pencher assidûment sur la notice et suivre avec une attention étonnante les démonstrations.

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Toutefois, s'il est relativement peu onéreux pour les musiciens professionnels, le prix du « Tenori-on », 121.000 yens (environ 750 euros au Japon, 875 euros en France), reste assez élevé pour le grand public. Après une mise en vente en Grande-Bretagne pour tester les réactions du marché fin 2007, Yamaha vient de le lancer dans plusieurs pays, espérant en écouler 10.000 exemplaires à l'échelle mondiale. Au Japon, le groupe le propose depuis le 12 mai sur son site internet. Il prévoit d'en vendre seulement 1.000 dans l'archipel, mais il croule sous la demande. Les 300 premiers en stock pour le marché nippon ont été immédiatement épuisés. Ailleurs, les magasins spécialisés sont livrés au compte-goutte, selon un distributeur français interrogé par téléphone. "J'ai reçu juste de quoi couvrir les commandes en cours", soutient-il. « Les quatre ou cinq prochains acheteurs seront servis dans un délai de deux semaines au mieux et pour la suite, je ne sais pas », ajoute-t-il, perplexe.

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Au Japon, faute de pouvoir produire en quantité suffisante pour satisfaire tous les Nippons qui le veulent, Yamaha, qui ne vend le « Tenori-on » que sur Internet via sa propre boutique en ligne, a décidé de diviser les prises de commandes en périodes limitées au fur à mesure de la fabrication, et de tirer au sort parmi les candidats acquéreurs les noms de ceux qui pourront effectivement mener à terme leur ordre d'achat et recevoir le produit. Trois semaines de patience au bas-mot. Pénurie organisée? Que nenni, se défend le concepteur. Si Yamaha ne peut effectivement manufacturer plus de « Tenori-on » (quelques centaines par mois), c'est qu'il ne veut pas sacrifier la qualité sur l'autel du profit, selon lui. Car en dépit d'une esthétique qui, à première vue, n'est pas de grande classe, le « Tenori-on » est constitué de matériaux coûteux et exige des procédés artisanaux complexes. « Ce produit est entièrement fabriqué au Japon, et quasiment fait à la main, en employant même des techniques utilisées pour les pianos classiques haut de gamme, par exemple pour polir les pourtours », assure M.Nishiori. Et le même d'ajouter qu'une production en masse dans une usine est exclue. « Je me demande ce que cela donnerait s'il sortait de chaînes automatisées », nous confie-t-il.

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Pour ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir un « Tenori-on » ou n'ont pas la chance d'être tirés au sort par Yamaha, signalons l'existence d'un instrument de consolation, également nippon: le « Kaossilator » de Korg, petite machine de poche (250 grammes) qui permet de générer des variations sonores à partir d'échantillons pré-programmés, d'ajouter des effets, de créer des boucles et d'enregistrer le tout, en déplaçant son doigt sur le pavé tactile. Ce n'est certes pas le même gabarit que le « Tenori-on », mais ce n'est pas le même prix non plus: 150 euros. A noter que Korg a aussi dans son catalogue une gamme de machines pour DJ et autres as de l'improvisation, dont la série Electribe, idéale pour générer des morceaux techno en deux temps trois mouvements. Et si 150 euros c'est encore trop, patientez quelques mois et rabattez-vous sur le programme Korg DS10 pour console DS, un logiciel de simulation du synthétiseur MS10 de Korg, conçu par une jeune pousse de Roppongi, AQ Interactive. Prix: 4800 yens (30 euros), sortie prévue en juillet au Japon.

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Après le « Tenori-on », l'autre troublante innovation récente (elle date de mercredi) est signée du géant de l'électronique nippon Sony. Ce dernier va commercialiser en juin dans l'archipel une luxueuse enceinte acoustique, style lampadaire, visible et audible en avant-première au Sony Building au milieu du quartier de Ginza à Tokyo ainsi que dans un show-room d'Osaka. Ce tube de verre organique couplé à deux haut-parleurs intégrés diffuse les sons sur 360 degrés et s'illumine de différentes couleurs pour se faire remarquer. Fascinant cylindre transparent de 1,85 mètre de haut (socle compris), le « Sountina », est, selon Sony, capable de restituer les fréquences situées entre 50 Hertz (basses) et 20.000 Hz (aiguës), soit a priori l'ensemble du spectre perceptible par l'oreille humaine, même si cela est insuffisant pour reproduire les harmoniques qui jouent un rôle crucial dans la perception réelle. Le tube de verre vibre pour faire retentir dans toutes les directions les sons aigus cristallins, tandis que les fréquences basses et médium, omnidirectionnelles par nature, proviennent de deux haut-parleurs installés dans le socle, lequel accueille en outre un amplificateur. Le verre sert aussi accessoirement à refléter le faisceau de lumière émis à l'intérieur par des diodes électroluminescentes (LED) de couleur rose-violet, bleue ou rouge logées dans la base.

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Ce condensé de technologies, sur lesquelles Sony donne hélas peu de détails, s'adresse aux richissimes audiophiles férus de design futuriste et aux tenanciers de lieux publics particulièrement attentifs à la mise en scène (hôtels, magasins, restaurants, etc.). Cette enceinte sculpturale à trois voies, qui n'a pas besoin d'être couplée à une autre du même type, sera disponible au Japon le 20 juin et exportée par la suite à une date encore indéterminée. Prix de l'objet: 1,05 million de yens, soit près de 6.500 euros au cours actuel. Sony espère en vendre quelques centaines. A ce tarif, la production devrait pouvoir suivre la cadence de la demande. Soit dit en passant, le « Sountina » n'est pas sans rappeler une ligne de produits haut de gamme en série limitée imaginée par Sony il y a quelques années et aujourd'hui abandonnée. Appelée "Qualia", cette collection, qui s'enrichissait lentement, était aussi réservée aux fortunés. Elle ne comprenait que quelques pièces léchées, à base de matériaux rares, hors de prix et concentrant le nec plus ultra de la technologie. Le tout était à l'époque censé tenir la dragée haute à Bang & Olufsen, en vain. Sur les 25 produits originellement prévus, huit seulement ont vu le jour, dont un sublime casque audio.

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PS : pour répondre à un commentaire récent d'un lecteur, Sony est bien le premier groupe d'électronique japonais en termes de chiffre d'affaires totalisé sur la ventes d'appareils et composants électroniques. Les autres mastodontes (Toshiba, Hitachi, Matsushita/Panasonic) ne tirent de l'électronique qu'une partie de leurs recettes pour une valeur absolue inférieure à celle de Sony. Pour Toshiba et Hitachi, le gros relève des centrales électriques et matériels associés, des équipements pour infrastructures publiques (ascenseurs, escaliers mécaniques, matériaux) ou sites industriels (machines-outils, robots), et de l'électroménager. Pour Matsushita, une part importante vient des produits blancs (à différentier de l'électronique), et d'équipements pour le secteur de la construction (matériaux, câbles, luminaires, etc.), notamment. Quant à Sharp, Pioneer, Casio, Kyocera, Olympus, JVC-Kenwood, Mitsubishi Electric et bien d'autres, leur chiffre d'affaires consolidé (toutes filiales et activités confondues) est égal à la moitié au mieux de celui de Sony.
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