Denis MEINGAN Directeur Knowledge Management chez Valtech

18 juin 2001 à 00h00
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Directeur du département Knowledge Management et Business Intelligence chez Valtech France conseil e-business, Denis MEINGAN donne sa vision de la gestion des connaissances

AB - Monsieur MEINGAN bonjour, pouvez-vous me présenter votre parcours et Valtech ?

DM - Valtech est un groupe de conseil international spécialisé dans les technologies de l'e-business.

L'effectif actuel de la société est d'environ 1000 personnes. Valtech est implanté en Europe (France, Royaume-Uni, Danemark, Suède et Allemagne), aux Etats-Unis (Colorado, Texas , New York) et en Asie (Corée).

En 2000, Valtech a réalisé un chiffre d'affaires de 85,8 millions d'euros, soit une augmentation de plus de 200% par rapport à l'année précédente.

Concernant mon parcours, j'ai acquis une expérience professionnelle d'une quinzaine d'années dont plus d'une dizaine dans des cabinets internationaux de conseil comme Deloitte Consulting, Solving International et JMA Consultants.

Par ailleurs, j'ai dirigé de nombreuses missions centrées sur le management de la R&D, les achats, le contrôle de gestion et les nouvelles technologies. Actuellement, je dirige le département Knowledge Management et Business Intelligence de Valtech France.

Depuis 1993, je m'intéresse au Knowledge Management (gestion des connaissances). A cette époque, je travaillais chez JMA Consultants qui est le premier cabinet de conseil en management au Japon.

Lors d'un séjour de travail dans ce pays, j'ai pu voir des systèmes de management de connaissances que les industriels japonais commençaient à mettre en place dans leurs bureaux d'études. J'ai été séduit par l'approche et les réalisations concrètes, notamment la réduction du temps de cycle du développement des produits nouveaux.

L'arrivée des nouvelles technologies avec leurs formidables potentialités n'a fait que confirmer mon intérêt.

AB - Quelle serait votre définition de la gestion des connaissances, du Knowledge Management ?

DM - Malgré les nombreux écrits, conférences et témoignages réalisés sur le Knowledge Management, il faut indiquer que le concept semble manquer d'acuité.

Plutôt que d'en donner une nouvelle définition, j'ai choisi de réaliser une typologie des différentes approches actuelles en appréciant l'intérêt de chacune d'entre elles.

«Le Knowledge Management comme facteur du renouveau de la pensée stratégique.»

Les entreprises ont des comportements spécifiques expliqués partiellement par leur contexte mais aussi par leurs compétences propres et par leur dynamique d'acquisition et d'exploitation des savoirs.

L'accumulation, le développement et le partage de savoirs spécifiques, difficilement reproductibles et transférables, confèrent aux sociétés qui ont réussi ces opérations, des avantages concurrentiels forts et aisément re-configurables.

Cette approche a le grand intérêt de positionner les opérations de mise en place du Knowledge Management à un bon niveau dans la structure des sociétés.

«Le Knowledge Management comme gestion du capital immatériel.»

De plus en plus de sociétés intervenant dans le domaine des nouvelles technologies se trouvant avoir un décalage substantiel entre leur valeur économique et leur valeur comptable, certains ont cherché à identifier l'origine de cette différence de valorisation des actifs.

Ils ont identifié trois catégories d'actifs incorporels qui pouvaient l'expliquer :

La compétence des collaborateurs (leur capacité à agir en toute circonstance) ; la composante interne (les brevets, les concepts, les modes de fonctionnement ; ainsi que l'organisation administrative et informatique de l'entreprise) ; la composante externe (relations avec les clients et les fournisseurs, comme notoriété de la société).

Dans ce contexte, le Knowledge Management est analysé comme l'ensemble des études, techniques et outils qui permettent de tirer le meilleur profit des actifs immatériels des sociétés.

L'approche comptable contenue dans cette analyse apporte un éclairage qui permet de faire partager les problématiques du management des connaissances à une population peu sensibilisée à ces sujets, les financiers.

«Le Knowledge Management comme gestion du système de connaissances.»

A la base de cette approche du management des connaissances il existe deux hypothèses : la connaissance se perçoit comme un élément qui contient de l'information avec un certain sens, dans un contexte précis, et comme un système global avec trois points de vue, la structure, la fonction et l'évolution.

Le Knowledge Management va alors consister à analyser les connaissances du domaine considéré au travers de cet ensemble de points de vue, de manière à en produire une modélisation complète.

Cette approche s'insère dans l'école de pensée systémique, une illustration de la mise en œuvre de celle-ci est la méthode MKSM-MASK. Utilisée avec succès dans un certain nombre de projets, elle semble néanmoins plus adaptée aux grands organismes nationaux qu'aux entreprises du monde concurrentiel.

«Le Knowledge Management comme gestion de la mémoire d'entreprise.»

Dans ce cas, le management des connaissances se définit comme la gestion d'un réservoir de taille plus ou moins importante rassemblant les connaissances de l'entreprise : mémoire individuelle et mémoire société (expertise, organisation, activités, produits, etc.)

Même si les tenants de cette approche annexent des méthodes et outils dans la présentation de leurs idées, elle semble plus être un concept qu'une réelle approche opérationnelle.

«Le Knowledge Management comme gestion des savoir-faire.»

Dans les bureaux d'études et services méthodes, depuis de nombreuses années déjà, utiliser les savoir-faire collectifs pour améliorer la conception des produits et des processus est à l'ordre du jour.

Certaines sociétés ont trouvé des solutions caractérisées par leur aspect opérationnel et non conceptuel. Les savoirs et savoir-faire ne sont pas modélisés, ils sont décrits, le plus souvent, sous forme de fiches d'instructions et parfois de graphiques.

La simplicité de l'approche fait généralement son succès.

«Le Knowledge Management comme gestion des compétences.»

De la responsabilité du personnel à la gestion stratégique des compétences, en passant par la fonction Ressources Humaines, les sociétés ont connu une grande évolution dans le management de leurs collaborateurs.

Les projets de Knowledge Management ont intégré, pour certains d'entre eux, la formalisation et l'institutionnalisation de l'ensemble des savoirs dans le cadre plus général de la définition des profils de compétences, des qualifications et donc des postes.

«Le Knowledge Management comme démarche.»

Partant du fait que le Knowledge Management regroupe de nombreuses facettes répondant à des préoccupations variées (conseil en organisation, mise en réseau des organisations, recherche d'améliorations substantielles de performance, technologies) certains ont centré leur approche du management des connaissances sur la démarche de mise en œuvre.

Ils distinguent les sept chantiers suivants : retour sur investissement, nouvelle organisation, processus, contenu, conduite du changement, mesure des performances, technologie.

Cette approche est séduisante, mais en général, les projets dans les entreprises ne sont pas posés aussi clairement qu'une telle démarche peut le laisser supposer.

«Le Knowledge Management comme composant de l'e-business.»

Supply chain management - SCM (gestion de la chaîne logistique), Customer relationship management - CRM (gestion de la relation client), Business intelligence - BI (intelligence économique), e-commerce, e-procurement (gestion électronique des achats) sont les thèmes principaux de l'e-business.

De nombreuses sociétés ont lancé, démarrent ou vont initialiser, des projets sur un ou plusieurs de ces thèmes. Il est rapidement apparu que la capitalisation et le partage des savoirs et savoir-faire étaient des besoins importants, qu'il s'agisse de connaissances sur les clients, les fournisseurs ou de savoir-faire (préparation des appels d'offre, négociation de contrats, etc.)

Il faut noter, et c'est là la faiblesse de l'approche, que les modes de son intégration restent le plus souvent à préciser.

«Le Knowledge Management comme thème de communication.»

Les cabinets de conseil, les sociétés de services en informatique, et les éditeurs de logiciels développent actuellement une forte communication sur le Knowledge Management.

Malheureusement, la plupart du temps il ne s'agit que d'une remise en forme de leurs expériences en planification, conception et développement d'applications avec des logiciels de groupware, gestion documentaire, moteurs de recherche, ou commercialisation des mêmes outils.

Cependant depuis quelques mois, la situation évolue aussi bien du côté des cabinets de conseil et sociétés de services en informatique que du côté des éditeurs. Les uns comme les autres ont obtenu des références notables dans la mise en œuvre du Knowledge Management.

AB - Qu'en est-il concrètement de la gestion des connaissances ou KM aujourd'hui ?

DM - Il existe deux grandes catégories d'acteurs sur ce marché, d'une part les éditeurs et d'autre part les cabinets de conseil et les SSII.

Les éditeurs sont le plus souvent américains, mais il existe quelques éditeurs européens, français, anglais, allemands et espagnols, qui sortent progressivement de leur pays d'origine. Le nombre important d'éditeurs à proposer des logiciels de fonctionnalités identiques ou proches, attestent de la maturité du marché.

Les SSII se présentent clairement comme des intégrateurs sur une gamme plus ou moins large d'outils de KM .

Le positionnement des cabinets de conseil est variable. Certains, peu nombreux, ne réalisent que des prestations intellectuelles de définition d'organisations et de systèmes de management des connaissances. D'autres, la grande majorité, développent ce même type de prestations ainsi que des missions d'intégration sur les outils des éditeurs (partenariats.)

En ce qui concerne le marché, différents organismes européens ou américains ont réalisé des études sur l'évolution du secteur en Occident ces cinq prochaines années. Sur le terrain en France, il semble que les demandes des clients ne se développent pas à la vitesse prévue.

Quels que soient les secteurs considérés, les sociétés prennent leur temps avant de s'engager et surtout demandent avant chaque opération un calcul préalable de leur retour sur investissement et ce calcul n'est pas toujours aisé...

Par ailleurs, il existe de nombreux outils. Je ne retiens ici que les outils dont les éditeurs revendiquent la qualité KM.

Les fonctionnalités identifiées sont : les agendas (individuels ou collectifs), le classement (souvent relié à des outils de gestion documentaire), les forums, la gestion des compétences, la gestion des groupes d'experts, la gestion de projet (gestion du travail en groupe).

Mais encore, la gestion documentaire (gestion du processus éditorial : acquisition, création, diffusion, enrichissement et archivage), la messagerie électronique, les moteurs de recherche, les portails, la veille (analyse automatique de sources de données et réception des informations correspondant à un profil déterminé), et le workflow (opérations, acteurs et moteurs).

L'architecture de base pour un outil de Knowledge Management contient les cinq domaines suivants : espace recherche (veille et moteurs), espace collaboratif (messagerie, agendas, forum, gestion de projets et workflow), espace expertise (gestion des compétences et gestion de groupes d'experts), et enfin le classement, et la gestion documentaire. L'interface utilisateur étant assurée par le portail.

Ces outils peuvent assurer un grand nombre de fonctionnalités (outils intégrés) et d'autres certaines d'entre elles voire une seule (outils spécialisés.) Il n'existe pas réellement d'outils prenant en compte complètement les besoins du Knowledge Management, ils s'en rapprochent...

La plupart des auteurs s'accordent à dire que le Knowledge Management est un mode de gestion systématique des savoir et savoir-faire qui vise à obtenir un bénéfice tangible pour les organisations qui le mettent en œuvre.

De manière pratique, les outils du Knowledge Management doivent permettre l'échange collaboratif de connaissances tacites (socialisation) et la transformation de cet échange en connaissances explicites susceptibles d'être partagées (formalisation), mais aussi la prise en compte, la recherche et le traitement des connaissances explicites (intériorisation et combinaison).

Les études sur le marché du KM sont très optimistes sur son développement à moyen terme, il est certain que ce marché est promis à un bel avenir. Cependant, la réelle question est d'évaluer la vitesse de sa croissance...

AB - En matière de KM pensez-vous que la France soit en retard par rapport aux Etats-Unis ? Le KM est il plus un concept ici qu'une réalité ?

DM - Il est usuel de dater le démarrage du Knowledge Management à la fin des années quatre vingt. En fait, le KM a réellement pris son ampleur au milieu des années quatre vingt dix. A ce moment, des réalisations concrètes ont été opérées aux Etats-Unis, au Japon comme en Europe, notamment en France.

La grande différence dans ces réalisations est qu'aux Etats-Unis et au Japon, elles ont eu pour cadre des entreprises du secteur concurrentiel, le plus souvent à cycle de développement court, tandis qu'en France les réalisations ont été opérées dans des entreprises nationales à cycle de développement long.

Le secteur concurrentiel français ne se sentait que peu concerné par le Knowledge Management. Après une baisse d'intérêt pour le sujet vers les années 1997 et 98 aux Etats-Unis, le thème est redevenu d'actualité avec l'arrivée des portails d'entreprise. C'est ce qui se passe actuellement en France et cette fois-ci le secteur concurrentiel est bien impliqué, voire au premier rang.

AB - A la New York University s'est tenue les 17 et 18 mai derniers la 4ème conférence sur le capital immatériel («Advances In The Measurement Of Intangible/Intellectual Capital»), rapprochant le monde universitaire de l'entreprise. Qu'en est-il du transfert des savoirs et acquis universitaires vers le marché du travail en France ?

DM - Aussi étonnant que cela puisse paraître, s'il existe bien actuellement des domaines où l'Université produit et dispense des savoirs qui sont utilisables et utilisés par les entreprises, ce sont ceux de la gestion documentaire, de la veille, de l'intelligence économique et du management des connaissances. Il existe en France, comme vous le savez, plusieurs DESS spécialisés dans ces domaines.

Chez Valtech, nous avons l'occasion de rencontrer certains professionnels issus de ces formations dans nos campagnes de recrutement et tous sont de très haut niveau. Ceux que nous embauchons n'ont aucune difficulté à être rapidement opérationnels et apportent une grande valeur ajoutée à la société... Dans ce cas, il est clair que l'Université réussit bien dans son rôle de recherche et de transfert de ses acquis sur le marché du travail, dans l'entreprise.

AB - Souhaitez-vous ajouter un commentaire pour conclure ?

DM - Récemment, je participais à un dîner débat organisé par l'Association des Centraliens et ayant pour thème la question suivante : «Knowledge Management - Enjeux et réalités. » Il y avait une centaine de participants.

Alors qu'un des conférenciers indiquait que : «le Knowledge Management est une mode comme il y a eu quelques années auparavant la mode de l'intelligence économique», je suis intervenu pour indiquer que le KM n'était pas une mode, qu'il correspondait à une préoccupation fondamentale des entreprises et qu'à ce titre il allait plutôt se développer que suivre le cycle de certains concepts passés de «mode» à trépas !

En effet, avec le management des connaissances, il s'agit pour les entreprises de valoriser ce qui est devenu leur richesse première, leur capital intellectuel, qu'il se décline en connaissances explicites dans des documents (normes ou standards) ou en connaissances et savoir faire de leur personnel.

AB - Monsieur MEINGAN, je vous remercie.
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