La NASA paie-t-elle un pognon de dingue pour ses contrats ?

Eric Bottlaender
Spécialiste espace
05 mai 2022 à 16h00
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Celui-ci peut-être plus que les autres... © NASA
Celui-ci peut-être plus que les autres... © NASA

Interrogé hier lors d'une commission parlementaire américaine, l'administrateur de la NASA, Bill Nelson, a regretté les dérives des coûts des contrats historiques de l'agence. Un revirement pour cet ex-politicien conquis par la mise en concurrence et les partenariats publics-privés… Et qui appelle à les généraliser.

Les chèques à 10 chiffres pour le programme SLS (et Artemis) sont en ligne de mire.

Convaincre les politiciens

« Nous sommes en train d'abandonner ce système de contrats, qui est une vraie plaie (…) », expliquait hier l'administrateur de la NASA Bill Nelson. Et s'il n'a pas repris la formule d'Emmanuel Macron, la déclaration fait aussi du bruit de l'autre côté de l'Atlantique. Il était interrogé sur les dérapages budgétaires de plusieurs projets majeurs au cours des dernières années, qui handicapent l'agence et son image. Bill Nelson, qui a pris les rênes de l'agence américaine l'an dernier, défendait l'enveloppe budgétaire de 26 milliards que souhaite l'agence pour l'exercice 2023 (qui démarre le 1er novembre) face à une commission spécialisée du Congrès, réunissant sénateurs et représentants… Au sein de laquelle il avait lui-même longtemps siégé.

L'exercice est délicat, mais l'ex-sénateur Nelson s'est appuyé sur les rapports de l'agence, et en particulier sur ceux de l'OIG, un bureau des audits indépendants de l'administration de la NASA. Résultat, à la surprise générale, il a mis en avant les programmes de types publics-privés et les mises en concurrence, et lourdement tancé les contrats traditionnels, nommés « cost-plus ».

Jouer avec le système

Un contrat « cost-plus », qui est le schéma le plus classique pour l'agence américaine, consiste à signer avec une entreprise un accord cadre avec un montant et une date de livraison… Et à couvrir également les dépassements et n'appliquer aucune pénalité en cas de retards. Historiquement, il s'agit de pousser les industriels à remplir leur part du travail et à innover sans craindre les retours de bâton de l'administration, dans un domaine où, il faut l'avouer, personne n'arrive vraiment à livrer à temps. Tout du moins, tel était le concept de départ… Dévoyé depuis ?

Bill Nelson a cité hier le contrat à 383 millions de dollars passé avec l'entreprise Bechtel pour une deuxième tour de lancement dédiée au lanceur SLS. Selon l'administrateur, la firme a remporté le contrat en sous-évaluant tous ses coûts, et profite depuis des années de la structure « cost-plus » pour obtenir plus d'argent et plus de temps… Et la NASA ne peut pas faire grand-chose pour les en empêcher. Les audits de l'OIG ont d'ailleurs pointé les mêmes dérives tout au long de la décennie qui vient de passer pour une ample partie des industriels du projet SLS (Space Launch System), qui a depuis coûté pratiquement 25 milliards de dollars à la NASA…

Retournement de veste

Que Bill Nelson vante les mérites des appels d'offres concurrentiels et des contrats publics-privés en a surpris plus d'un, car lorsqu'il était sénateur, ses positions étaient diamétralement opposées. C'est bien le même Bill Nelson qui critiquait vivement le contrat Commercial Crew, et défendait avec ferveur les contrats passés pour la capsule Orion il y a une décennie !

Bill Nelson n'a finalement pas sa langue dans sa poche. © NASA
Bill Nelson n'a finalement pas sa langue dans sa poche. © NASA

C'est le pragmatisme et le retour d'expérience de l'agence sur ces contrats qui ont donné naissance aux capsules Dragon, permis le retour des vols habités sur le territoire américain ou donné un coup de pouce à l'essor des missions lunaires actuelles, qui a joué pour qu'il change d'avis. L'administrateur de la NASA souhaite maintenant le budget pour un deuxième atterrisseur lunaire afin de ne pas laisser les clés du contrat à SpaceX et son Starship, et met en avant les économies qu'ont permis les contrats fixes (ce qui par exemple implique que c'est Boeing qui prend en charge les coûts additionnels liés à la capsule Starliner depuis 2019).

Il y a donc fort à parier que si le format « cost plus » disparaît un jour, ce sera pour plus de concurrence et de public-privé. Du côté de la défense américaine, le général John Hyten expliquait avant sa retraite l'an dernier que grâce à la mise en concurrence des industriels, il estimait avoir économisé 40 milliards de dollars…

Source : Spacenews

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Commentaires (10)

mrassol
Un contrat « cost-plus », qui est le schéma le plus classique pour l’agence américaine, consiste à signer avec une entreprise un accord cadre avec un montant et une date de livraison… Et à couvrir également les dépassements et n’appliquer aucune pénalité en cas de retards<br /> Je suis le seul a voir directement vu la baleine sous le grain de sable ? Ca me semble tellement évident qu’il va y avoir de l’abus …
Jolan
En même temps c’est de la recherche : personne ne peut garantir quand il arrivera à un résultat. Là ce serait le suicide assuré pour le prestataire.<br /> Mais c’est certain que c’est la porte ouverte aux abus.
pecore
Le « cost plus » ne devrait pas dépasser un certain pourcentage et/ou entrainer des pénalités, tout comme le « time plus » des délais jamais respectés.<br /> Les entreprises ont réussi à faire croire que sans flexibilités elles ne se lanceraient pas dans l’aventure, mais c’est faux : le marché est bien trop juteux et la vache à lait qu’est l’administration bien trop tentante. Si l’État Américain s’en rend compte maintenant, mieux vaut tard que jamais
mrassol
On est d’accord, mais il faut au minimum un garde fou.<br /> Ca me rappelle le telephérique de Brest, le truc en arret car il rouille … mais bordel, personne ne s’est posé la question lors du montage du dossier ? brest, mer, sel, metal … c’est un des premier truc que je me suis dit quand je l’ai vu : « j’espere qu’ils ont mis de l’inox sinon dans 6 mois il est mort le truc … »
ypapanoel
L’administration d’état est par définition lente, mal foutue, incapable de gérer. C’est pas qu’aux US ou qu’en France, c’est partout. Donc oui clairement il doit y avoir plein de boites qui se gavent sur le dos de l’admin américaine. Et de l’admin française. Par exemple quand ils font tourner des appels d’offre entre 3 boites, toujours les mêmes, qui s’entendent sur les prix.
dFxed
Ce que j’aime avec ce genre de sujet c’est que les experts en contrats de recherche avec des budgets dépassant le milliards sortent du rang pour nous expliquer comment ces pauvres idiots n’ont rien vu alors que c’était évident.<br /> /TrollON
mcbenny
C’est vrai ça, le monde devrait savoir que tous les experts se retrouvent ici !
pecore
Ce genre de remarque ne sert à rien à part à être déplaisant. Inutile d’être expert pour avoir un avis sur un sujet et pour le partager, quitte à se tromper et à se voir corrigé par d’autres personnes mieux informées. Les seuls messages inutiles sont ceux qui traitent les avis des autres par le mépris et la condescendance.
mrassol
le bon sens VS les interets personnels
Maspriborintorg
En tant qu’ingénieur de process dans une industrie chimique, pour des projets d’installation de production chimique, n’était toléré qu’un dépassement inférieur de 10 % du budget.
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