Orientation Client : Peut-on se différencier par la qualité de service ?

04 mars 2003 à 00h00
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Un grand quotidien du soir évoquait récemment le "retour en grâce précaire" du secteur de l'Internet : a renoué avec les profits, Wanadoo les découvre, Ebay les engrange, Alapage et Amazon progressent. Bien évidemment, le paysage s'est dépeuplé, tant le ménage consécutif à l'implosion de la bulle a été violent. L'offre, donc, se porte mieux aujourd'hui. Quid des clients ? Quid de ces internautes dont les achats sont tant sollicités ? On en a peu parlé, à vrai dire.

Durant la grande euphorie spéculative, on évoquait surtout les avancées technologiques, la débauche de moyens nécessaires à la construction d'une offre en ligne et le "cash burning rate" ; on moquait les entreprises de "brique et de mortier" qui avaient raté le coche ; et on supposait allègrement que le client allait suivre le mouvement et acheter sans retenue.

Les clients n'ont pas suivi. A cela, une multitude d'explications possibles : nouveauté radicale du secteur, méfiance à l'égard de la sécurité des transactions en ligne, trop faible taux d'équipement en accès haut débit, etc. Toutes ces raisons ont, incontestablement, joué un rôle. Mais peu d'entreprises se sont penchées de manière approfondie sur les attentes réelles de leurs clients. Peu se sont demandées si elles répondaient vraiment et complètement à ces attentes.

Une erreur classique, commise par la plupart des entreprises, qu'elles soient des "pure players" du Net ou des entreprises traditionnelles, est de croire connaître parfaitement les attentes de leurs clients. Or, l'expérience montre qu'elles ne les connaissent qu'imparfaitement, et qu'elles connaissent encore moins bien les véritables facteurs influant sur la satisfaction et la fidélité de leurs clients. Selon E-Satisfy.com, près de 90% des sociétés en ligne ne mesurent pas la satisfaction de leurs clients, ce en quoi elles ne sont guère différentes de leurs consœurs traditionnelles.

Est-ce si important que cela ? Oui, et pour deux raisons simples mais souvent négligées : primo, toutes les études montrent que les clients très satisfaits ou complètement satisfaits sont considérablement plus fidèles que les clients simplement satisfaits ; secundo, il y a entre fidélité et profitabilité une relation exponentielle : un faible accroissement de la fidélité génère une forte augmentation des profits. Ces lois, maintes fois vérifiées dans l'ancienne économie, s'appliquent également à la nouvelle. Conséquence directe : s'il est évidemment fondamental de recruter de nouveaux clients, il est tout aussi important de rendre les clients existants très satisfaits, très fidèles et donc très profitables.

A ce stade du raisonnement, la grande question est de savoir comment générer une réelle fidélité en ligne. Les réponses des entreprises sont souvent partielles. On estime que 60% des entreprises françaises n'ont pas mené de réflexion stratégique avant le lancement d'une politique de fidélisation. Dans la plupart des cas, ces politiques se limitent en effet à des cartes de fidélité autorisant des remises ou des produits gratuits (sur le modèle des Mileage cards des compagnies aériennes) : nombre d'entreprises pensent encore que la fidélité peut s'acheter - erreur qui peut s'avérer extrêmement coûteuse. Un exemple récent : Zebank.com, qui ambitionnait de concurrencer les grands réseaux bancaires, a attiré de nouveaux clients par l'octroi d'espèces sonnantes et trébuchantes, croyant que ce cadeau de bienvenue serait générateur de fidélité ; comme il était prévisible, la plupart des clients, après avoir dûment touché leur cash, n'ont pas utilisé les services de Zebank et ont conservé leurs comptes habituels. Nul doute que cette banque en ligne "satisfaisait" les besoins bancaires basiques ; mais elle n'a pas su faire la différence sur un marché mature et encombré.

La question clef est donc bien celle de la différenciation radicale - comment faire pour que l'entreprise se distingue radicalement des produits et services de la concurrence ? Un temps, la nouveauté du net a fait illusion - on pensait que le seul fait d'être en ligne ferait la différence. Cela a été vrai très peu de temps, pour quelques pionniers, dans quelques secteurs. Succès éphémères. Quels sont alors les autres facteurs de différenciation en ligne ? Nombre de facteurs de l'économie traditionnelle ne s'appliquent pas : l'emplacement géographique de l'entreprise ne joue aucun rôle, les relations amicales avec les vendeurs non plus, etc. Ce qui reste important, c'est l'expérience de l'internaute client, que cela soit on line et off line, avec l'entreprise.

Qu'est ce que la qualité de service en ligne ? On peut distinguer des facteurs propres au site, et d'autres éléments dépassant ce cadre strict. Les facteurs techniques de base sont bien connus, quoique inégalement maîtrisés : la facilité et la vitesse de navigation, la clarté et la disponibilité de l'information recherchée, la pertinence de l'offre, la sécurisation des transactions, etc. Même si de nombreux sites pèchent encore par tel ou tel de ces aspects (en témoignent ces fréquentes et ennuyeuses "pages d'intro" que l'on propose gentiment de sauter...), la vraie différence ne se fait plus là. Tous les sites dignes de ce nom maîtrisent ces paramètres de base - le minimum pour jouer dans la cour des grands.

La capacité à joindre un interlocuteur humain, pour aussi simple que cela puisse paraître, est une possibilité que n'offrent qu'une minorité de sites. Que cela soit au téléphone ou via un dialogue en ligne, pour confirmer tel élément de l'offre et être rassuré sur les délais de livraisons, il s'agit clairement d'un facteur de différenciation.

La logistique est aussi devenu un élément crucial de l'offre de base. L'incapacité de ToysRus.com à livrer les commandes pour les fêtes de fin d'année 1999 a sérieusement écorné l'image de marque de la société (qui a accessoirement dû s'acquitter d'une amende infligée par la Federal Trade Commission). Le distributeur de Jouets a donc signé un accord avec , afin que ce dernier gère le site et l'acheminement des commandes. Par ailleurs, la montée en puissance des Fedex et autres transporteurs express a, très certainement, considérablement facilité la tache aux sites.

L'étape suivante était la personnalisation des sites. Ne parlons pas ici de la personnalisation à des fins de vente - même si le ciblage one-to-one d'un Amazon.com est remarquable - mais de l'individuation des services pour répondre aux attentes spécifiques des internautes. De nombreux sites retiennent les coordonnées et les préférences basiques de leurs clients : AirFrance.com ou Opodo.com mémorisent leurs profils et écourtent ainsi le temps de transaction de manière significative (la procédure en est simple, et pourtant, de nombreux concurrents du domaine du transport ne l'ont toujours pas appliquée). Yahoo, outre un mail, propose depuis longtemps une revue de presse personnalisée, des informations météo locales, etc.

Quid des sites ayant maîtrisé les paramètres de navigation, d'offre et de logistique ? Dans un environnement où les concurrents les plus pointus ont, eux aussi, maîtrisé ces paramètres basiques, comment fidéliser ses clients ? Un exemple intéressant est fourni par le secteur de la vente de vins en ligne. Plusieurs marchands proposent actuellement des offres extrêmement fournies et parfois originales, des sites agréables et sûrs, et des délais d'acheminement oscillant entre le raisonnable et le longuet.

Certains vont néanmoins plus loin. Chateauonline.fr propose à ses clients les plus fidèles un espace "Paradis" comportant un certain nombre d'avantages : des remises spécifiques et une sélection de vins prestigieux, ce qui est intéressant mais aisément reproductible ; et des offres de service plus originales comme des diagnostics ou des expertises de cave, des dégustations dans une galerie d'art ou à l'Hôtel de Crillon, ou la possibilité d'accompagner un sommelier faisant ses emplettes à Vinexpo. Autant de services qui, isolément, n'ont rien de révolutionnaire, mais qui, combinés à une offre en ligne de bonne tenue, font la différence avec certains concurrents en ligne ou traditionnels.

Pour résumer, trois facteurs contribuent à cette différenciation par la qualité de service : l'excellence sur les services de base, en l'espèce les paramètres techniques du site, la pertinence de l'offre, de l'information, la rapidité de livraison, etc. ; la personnalisation du service, autorisant des transactions plus aisées ou des informations ciblées ; et l'offre de services novateurs, témoignant d'une bonne compréhension de l'ensemble des attentes des clients. Une fois ces fondations posées, la question de l'implémentation se pose avec acuité : comment mettre tout cela en place ?

C'est précisément le but des stratégies d'orientation-client : transformer les vœux pieux de la qualité de service en réalité tangible pour les clients. Cela passe par une redéfinition radicale des priorités de l'entreprise : c'est le client, et non les préoccupations internes, qui doit être au cœur de la stratégie et de la vie quotidienne de l'entreprise.

Pour y parvenir, il faut avant tout une détermination inébranlable du Top Management, sans quoi rien ne changera - et l'on sait que le changement est hautement anxiogène. La délégation de ces priorités aux seuls programmateurs ou à un service en charge des relations clientèles est vouée à l'échec. Ceci étant posé, la première mesure à prendre est d'identifier les attentes des clients avec finesse et précision, de mesurer leur satisfaction et d'évaluer les leviers de leur fidélité de manière régulière. Puis, dans un second temps, de définir des plans d'action susceptibles d'affecter de manière décisive et durable la satisfaction des clients, sur tous les aspects du service ayant une influence importante et prouvée sur la satisfaction de l'internaute.

Malheureusement, comme il a été dit, la plupart des sites ne mesurent rien du tout, et, parmi ceux qui mesurent la satisfaction de leurs clients, peu en tirent toutes les conséquences en termes de stratégie et d'organisation. C'est dommage : tout indique que seule une culture du changement centrée sur les attentes des clients peut générer des profits hors normes. C'est bien le paradoxe de l'orientation client : toutes les études soulignent la forte rentabilité de ces politiques ; et les faits, obstinément, montrent que la plupart des entreprises, du Net et d'ailleurs, ne font rien en la matière. On ne peut rendre personne heureux contre son gré, dit la sagesse populaire ; force est de constater qu'on ne peut rendre aucune entreprise profitable contre son gré...

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Cédric Roesler est consultant au sein d'Obvium, cabinet de conseil en stratégie d'orientation-client.
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