Live Japon : Foxconn et Sharp, bluff contre mauvaise foi

07 février 2016 à 12h03
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C'est le feuilleton de ce début d'année, la saison 2, une sorte de Dallas industriel à la japonaise qui met aux prises un magnat taïwanais roublard, un patron de groupe nippon un peu mollasson et une clique de bureaucrates.

Le premier se nomme Terri Gou, c'est le fondateur de Hon Hai, géant de l'assemblage de produits numériques, plus connu par sa marque Foxconn. Le second, c'est Kozo Takahashi, un nom qui ne dit rien à personne et ne restera sans doute pas dans les annales. C'est un PDG, en l'occurrence celui de Sharp, comme le Japon en fabrique par dizaines dans des usines à « salarymen », gentil, paternaliste, mais sans aucun charisme, un peu comme les politiciens du même berceau. Les derniers, ce sont les fonctionnaires carriéristes mais blasés, qui tentent un baroud d'honneur pour finir, avec le sentiment du devoir accompli pour la patrie, un parcours dont la banalité n'a d'égal que la longueur. A l'arrière plan, il y a des banquiers (qui banquent, jusqu'à un certain point) et des hordes de journalistes du quotidien, TV et magazines qui harcèlent l'entourage des protagonistes pour tenter de sortir le scoop.

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Résumé des épisodes précédents: un fabricant de dalles LCD, Sharp (qui produisait initialement des boucles de ceinturons et des crayons) est aux abois. A force d'avoir eu tort d'avoir raison trop tôt en misant tout sur ses écrans, la maison est étranglée par des dettes impossibles à rembourser, au bord du défaut de paiement si ce n'est du dépôt de bilan. Des bureaucrates armés des meilleures intentions (qu'ils disaient) se posent en sauveteurs, via un fonds d'investissement soutenu par l'Etat, l'INCJ. Ils ont beau jeu de se présenter comme le dernier recours alors qu'ils ont peut-être eux-mêmes sciemment donné le coup de grâce à Sharp en tant que géniteurs de son plus important rival, Japan Display. La direction de Sharp avait eu, il est vrai, l'outrecuidance de les éconduire lorsqu'ils étaient venus proposer la création d'un « hinomaru » (Soleil-Levant) des écrans à cristaux liquides, regroupant les activités afférentes à presque tous les acteurs nippons du secteur (Sony, Toshiba, Hitachi et Sharp). On ne brave pas impunément les missionnaires de l'Etat, Sharp le comprend aujourd'hui à ses dépens.


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Ces bureaucrates poussent quand même l'humiliation jusqu'à proposer de démembrer la société plus que centenaire qu'est Sharp (excusez du peu) pour en prendre la plus belle partie, les technologies d'écrans, et la fusionner dans un embryon d'entreprise, Japan Display, de moins de 4 ans d'ancienneté. Et après ils s'étonnent que la direction de Sharp s'en offusque au point de préférer se jeter dans les bras d'un... Taïwanais. C'est là que les nationalistes sortent du bois et crient au loup. Attention aux fuites de technologies chez l'ennemi. L'homme visé, le patron de Foxconn, Terri Gou n'en a cure : il est le vrai sauveur de Sharp, du moins le pense-t-il et le crie-t-il, en mettant quand même plus de 5,5 milliards d'euros sur la table, histoire de faire comprendre que la grande gueule a aussi du répondant sonnant et trébuchant. Tout cela est essentiellement rapporté par la presse, qui ne cite pas la moindre source.

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On en était là jeudi, quand s'est joué un nouvel épisode, et un des plus piquants. Se tenait ce jour-là un conseil d'administration de Sharp, avec 13 membres. Etaient en discussions les deux plans de sauvetage proposés : celui de l'INCJ et celui de Hon Hai/Foxconn. Dans l'esprit de beaucoup, les jeux étaient faits : puisque le gouvernement, via le ministère de l'Industrie, était derrière l'INCJ, il ne faisait aucun doute que les dirigeants de Sharp censés être obéissants et patriotes, allaient accepter comme un seul homme de sacrifier l'entreprise au profit de la nouvelle société nationale Japan Display. Las, vers la mi-journée, coup de tonnerre. La chaîne de TV publique NHK, bientôt suivie d'autres médias, annonce que les administrateurs de Sharp se sont prononcés pour l'offre concurrente de reprise émanant de Hon Hai ! Branle-bas de combat : à la Bourse, les acheteurs se ruent sur l'action Sharp qui bondit de 26%, preuve qu'ils croient plus au projet industriel de Hon Hai qu'à celui des bureaucrates.


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Mais nouveau rebondissement, Sharp sort un communiqué : « c'est faux, on n'a pas choisi, on continue de discuter avec les deux ». L'habituelle héroïcité des entreprises japonaises en crise : ne pas froisser quiconque. Sauf que là, plus personne n'y comprend rien. 15 h : Sharp annonce ses résultats financiers. Catastrophiques. On s'en doutait, c'est triste, mais passons. Et le patron, M. Takahashi s'arme de courage pour annoncer le résultat des discussions en conseil d'administration à propos du plan de sauvetage : « on n'a pas choisi, on n'était pas réuni pour cela, on va continuer de négocier dans l'espoir de réussir à trouver une solution dans environ un mois ». Tout ça pour ça. Il a fallu lui tirer les vers du nez pour qu'il avoue à demi mot en creux que Hon Hai avait la préférence des administrateurs. On apprendra après selon quelques médias que 13 des 13 administrateurs en question auraient voté pour le plan Hon Hai. Malgré ce score sans appel, la direction de Sharp, qui a peur de son ombre, est infoutue de dire clairement que « le conseil d'administration a préféré Hon Hai », comme si c'était honteux. Ce qui manque aux patrons nippons, c'est d'assumer leurs décisions.

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Il en aurait cependant fallu plus pour démonter M. Gou, PDG de Hon Hai qui connaît bien ses interlocuteurs. Entretemps, M. Takahashi lui a téléphoné pour lui annoncer la bonne nouvelle. Ni une ni deux, l'homme d'affaires monte dans son jet privé, non sans lâcher une petite phrase bien sentie « je vais à Osaka (siège de Sharp) dans le but de signer un contrat ». Et de continuer à son arrivée sur place avant une réunion avec Sharp : je veux ressortir avec une signature. Quatre heures plus tard l'homme ressort et, sans se payer de mots, annonce qu'il a obtenu un droit prioritaire de négociations, brandissant devant les caméras un document où figurent deux signatures, la sienne et celle du patron de Sharp, en indiquant « 90% du chemin est fait (en vue du rachat de Sharp par Hon Hai) et les 10% restants ne sont que procédures ».
Là, tout le monde s'est évidemment dit, ça y est, c'est fait, Sharp va passer sous peu sous la coupe de Hon Hai.
Eh bien non, hâtive conclusion. C'était sans compter sur la roublardise de Gou et la mauvaise foi de Sharp. Car l'homme, un rien bluffeur, a peut-être bien piégé les médias en montrant un document signé qui ne spécifiait en rien l'obtention de droit prioritaire de négociations, et Sharp avec la bravoure qui caractérise ses dirigeants s'est empressé de démentir... en indiquant que les deux avaient apposé leur paraphe sur une lettre précisant « que les négociations devaient se poursuivre dans les temps impartis, avec... loyauté ». Loyauté = fidélité à tenir ses engagements, droiture, honnêteté. C'est bien parti.
A suivre...
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