Live Japon : Sony se sent d'attaque

21 novembre 2009 à 00h05
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Le géant de l'électronique japonais Sony, violemment touché par la crise l'an passé, se sent déjà un peu mieux. Le groupe se dit, par la voix de son patron et de ses bras-droits, plus costaud. Après avoir taillé dans ses effectifs et passé sévèrement en revue ses dépenses, il se fixe à nouveau d'ambitieux objectifs financiers, techniques et commerciaux, notamment pour ses produits grand public et jeux vidéo.

"Nous avons mis en place une nouvelle structure qui nous rend plus forts et plus musclés, même si cette transformation n'est pas achevée", s'est félicité jeudi 19 novembre à Tokyo le PDG américain, Howard Stringer, lequel a aussi peut-être pris prétexte de la débandade économique mondiale pour faire le ménage autour de lui et trier par le vide les affaires de la maison. M. Stringer, personnellement aux commandes depuis février alors qu'auparavant il supervisait de haut, s'est entouré d'une équipe rajeunie et très bien disposée à son égard. Il prétend ainsi métamorphoser Sony dans le sens voulu par la conjoncture, pas forcément dans la direction qu'auraient souhaitée les fondateurs nippons de cette gigantesque multinationale.

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Occidental qui n'a pas nécessairement les mêmes préoccupations, priorités et prédilections que les patrons japonais, M. Stringer est manifestement moins attaché au monozukuri (fabrication d'objets) que ne le sont par exemple les dirigeants de l'éternel rival nippon Panasonic. Le modèle de M. Stringer serait davantage Apple, qui conçoit mais ne manufacture pas. Le patron de Sony ne va quand même pas jusqu'à parler d'entreprise sans usine, même s'il ferme toutes celles qu'ils jugent superflues et confie une part croissante de l'assemblage des produits à des sous-traitants. M. Stringer reconnaît cependant que Sony doit encore développer en propre des technologies et composants de base uniques ou lucratifs de même que des logiciels essentiels. Opportuniste, il n'exclut pas par exemple d'étendre la production de batteries lithium-ion dans laquelle il est fort au secteur porteur de l'automobile semi ou tout électrique.

Le grand cheval de bataille de M. Stringer, toutefois, ce sont les synergies entre produits et le lien avec les contenus. Cette volonté de mieux combiner les activités du groupe l'a conduit en février dernier à établir une nouvelle répartition des principales lignes de produits afin de faciliter la création de logiciels communs et de plates-formes matérielles transversales. On trouve ainsi d'un côté l'électronique grand public et professionnelle (TV, caméscopes, appareils photo, caméras, composants, matériel audio de salon, etc.) et de l'autre les appareils censés fonctionner en réseau ou en tirer parti (consoles de jeu vidéo, téléphones portables, baladeurs, livres numériques) ainsi que les plates-formes en ligne et les logiciels. Le tout a pour but de concevoir des composants et pièces qui trouvent place dans différents appareils et de développer des services et outils transversaux. Objectif ultime : éviter les redondances et in fine réduire les coûts pour améliorer la rentabilité.

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Pour parvenir à cela, plusieurs importantes dispositions ont été prises, qui ont d'abord permis de limiter les dégâts dus à la récession internationale : liquidations ou ventes de sites de production, rationalisation des services, suppressions de postes, centralisation des circuits logistiques et commerciaux, regroupement des commandes et contraction du réseau de fournisseurs. Le groupe a ainsi éliminé près de 20.000 postes dans ses activités de matériels électroniques et de jeux vidéo en un an, abaissant ses effectifs à 146.800 personnes en septembre. A en croire le patron, sur le plan financier, cela fonctionne, même mieux qu'il ne le pensait. "80% des diminutions de dépenses envisagées pour cette année budgétaire (330 milliards de yens, 2,45 milliards d'euros) ont été réalisées durant le seul premier semestre (avril à septembre)", assure-t-il. Constatant les effets rapides sur les comptes des changements structurels, Sony avait d'ailleurs revu en hausse il y a peu ses prévisions annuelles, divisant par près de deux son estimation de perte d'exploitation à 60 milliards de yens (450 millions d'euros).

Encore convalescent mais moralement requinqué, Sony se sent donc d'attaque pour affronter une concurrence intense dans un univers marchand chamboulé. "Nous devons en permanence renforcer nos performances dans notre coeur de métier, notamment dans nos activités de TV et jeux vidéo", prévient M. Stringer. Malgré la chute des prix en rayon qui gomme une partie des efforts de réduction de coûts, Sony espère que sa division de téléviseurs redeviendra rentable dès l'année prochaine (avril 2010-mars 2011) et veut totaliser une part de marché de 20% en volume en 2012-2013, contre un peu moins de 14% actuellement.

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Le groupe, fondé par Akio Morita et rendu célèbre dans le monde par ses récepteurs à tube cathodique Trinitron, entend reprendre dans ce domaine avec les nouvelles générations de TV la place de meneur qu'il considère comme étant génétiquement la sienne. Reste que 40% de la phase d'assemblage de ses divers modèles devrait être laissée à des tiers (économies obligent) et que les pièces-maîtresses (à commencer par les dalles à cristaux liquides, LCD) sont déjà en partie fabriquées par d'autres. Sony se fournit en effet en dalles auprès de S-LCD (une coentreprise détenue avec son rival sud-coréen Samsung Electronics) et depuis peu auprès de son compatriote Sharp, avec lequel il a investi dans une nouvelle usine immense près d'Osaka (on la visitera un jour). Faute de détenir des moyens de production en propre, Sony se concentre sur la recherche et le développement de technologies permettant d'améliorer les performances de ses TV et d'en soigner l'esthétique pour les différentier de celles de ses concurrents. Mais là encore, soucieux pour ses finances, il est prêt à partager avec d'autres. La preuve: une salariée de Sharp nous a indiqué que, outre les dalles, les deux groupes étudiaient la possibilité de concevoir en commun divers composants pour leurs téléviseurs respectifs. Il s'agirait en premier lieu des systèmes de rétroéclairage à diodes électroluminescentes (LED), un des domaines d'excellence de Sharp.

La grande ambition de Sony est aussi de fournir des services en ligne pour ses téléviseurs se connectant à Internet et "d'apporter l'image en trois dimensions (3D) à la maison" comme sur les plateaux de tournage et dans les salles de cinéma. "Nous avons une position unique dans la 3D, notre offre allant des équipements pour la prise de vue (caméras professionnelles) jusqu'à la restitution dans les salles (projecteurs dédiés) comme dans les foyers (lecteurs de disques Blu-Ray, consoles de jeux et TV compatibles)", affirme M. Stringer. L'ensemble des produits 3D du groupe pourrait totaliser de 12% à 15% de son chiffre d'affaires annuel d'ici 2012-2013.

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Sony se veut aussi un géant de l'image fixe. Il ne l'était pas du temps de la photo argentique, n'a jamais été un as de l'optique, mais du fait de la transition numérique , il se sent aujourd'hui en mesure de rivaliser avec les grands noms nippons de la photo que son Canon ou Nikon. D'autant que le groupe s'est tôt spécialisé dans la conception des capteurs CCD et CMOS (des composants-clefs qu'il veut continuer de développer et produire). Il a aussi, et cela compte encore plus, racheté la division d'appareils photo et les brevets de Minolta quand ce dernier a abandonné le secteur au profit de l'optique de précision et de la bureautique. Sony veut en la matière être présent dans tous les rayons (modèles compacts et boîtiers à visée Reflex), pour tous les publics (néophytes, amateurs et professionnels) et partout où existe une clientèle potentielle (pays émergents et riches). Comme il sait que l'augmentation des parts de marché dépend de la place prise dans les zones à forte croissance, il prévoit d'étendre son offre d'entrée de gamme à bas prix. Enfin, les appareils photo se connecteront aussi de plus en plus directement et souvent aux réseaux, à des services que Sony prévoit également de multiplier.

Autre grande priorité de Sony: les jeux vidéo. dada d'un des nouveaux lieutenants et poulains de M. Stringer, Kazuo Hirai, patron de Sony Computer Entertainement et également promu au rang de chef des produits et services de réseau. L'activité des jeux vidéo, qui perd de l'argent, devrait selon M. Hirai, renouer avec la profitabilité en 2012-2013, notamment grâce à des améliorations ou innovations sur les modes d'action (reconnaissance de mouvements et de postures) et à une extension de l'offre de contenus multimédias vendus en ligne (jeux, vidéos, musiques, etc.) adossés à des services diversifiés (univers communautaires, galerie marchande, etc.).

Du nouveau est également prévu pour revigorer la filiale de téléphones portables Sony-Ericsson, grâce à des partages de technologies et services avec les autres appareils nomades du groupe, à commencer par les baladeurs audio et vidéo Walkman.

Sony ambitionne en outre d'être numéro un du marché des livres électroniques en 2012-2013, alors que les ventes de ces appareils permettant de lire des ouvrages, journaux ou magazines numérisés prennent leur essor. "Cette année il se vendra entre 3 ou 4 millions de livres électroniques dans le monde", assure Kazuo Hirai. Et d'ajouter: "nous visons une part de marché de 4O% au cours de l'année budgétaire d'avril 2012 à mars 2013". Sony a déjà conçu plusieurs livres électroniques ("Reader") commercialisés aux Etats-Unis et en Europe où ils reçoivent un bon accueil. Sur l'archipel nippon, la situation est différente puisque, pour le moment, ce sont les téléphones portables qui se sont imposés comme support de lecture d'ouvrages numérisés en tous genres (romans, essais, mangas, etc.). Sony, qui juge que "le marché mondial des livres électroniques grossit rapidement", dit vouloir s'activer non seulement sur le plan des appareils de lecture, mais aussi sur le volet des logiciels, lesquels pourront prendre place dans les PC, téléphones ou consoles de jeu du groupe. Sony va par exemple lancer en décembre au Japon et aux Etats-Unis un service de distribution de mangas (bandes-dessinées japonaises) à destination des possesseurs de sa console de jeu vidéo portable PSP.

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Dans ce domaine comme dans d'autres, il estime qu'il a une position unique qui l'avantage, celle d'un fabricant d'équipements électroniques qui est aussi un producteur et fournisseur de contenus multimédias qui leurs sont destinés. C'est cet atout présumé que M. Stringer s'attache, dit-il, à valoriser, estimant en outre que, lorsque feu Morita a pris le contrôle de la maison de disques américaine CBS et des studios hollywoodiens de Columbia à la fin des années 1980, c'était déjà dans l'idée stratégique de maîtriser et de combiner les contenus et les équipements qui permettent de les créer et d'en profiter.

Reste que cette assertion invérifiable ne convainc pas tout le monde. Certains, tels les actionnaires et les agences de notation financières, préfèrent aux grandes visions d'avenir les bénéfices et dividendes immédiats. Fitch a ainsi dégradé également jeudi la note de Sony de BBB+ à BBB, ce qui rend plus difficile pour l'entreprise l'obtention de fonds auprès des banques et autres pourvoyeurs. "Les performances de Sony continuent d'être touchées par l'appréciation de la devise japonaise, le baisse des ventes et le déclin des tarifs, le tout résultant d'une intense concurrence amplifiée par la récession internationale", a justifié Fitch dans un communiqué. "Sony met comme prévu en oeuvre les initiatives pour transformer structurellement l'entreprise afin de lui permettre d'adapter son offre aux attentes des clients et de renforcer sa compétitivité", note l'agence. "Toutefois, cette réforme organisationnelle doit encore se traduire en amélioration matérielle, en termes de rentabilité", ajoute-t-elle.

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Fitch considère que les pertes de parts de marché que subit Sony sur certains produits-clefs reflètent sa faible compétitivité industrielle, prenant pour exemple le secteur hyper concurrentiel des téléviseurs. L'agence s'inquiète aussi du fait que le sud-coréen Samsung Electronics ait livré plus de PC que Sony au printemps. "Le potentiel de rebond de la demande et des marges d'exploitation dans les 12 à 24 mois demeure très incertain, même si l'économie mondiale semble se stabiliser et qu'apparaissent des signes positifs", ajoute Fitch pour exprimer le fait qu'elle imagine difficilement une amélioration de la note dans les prochains mois. Sony vise pourtant pour sa part une marge d'exploitation de 5% du chiffre d'affaires au cours de l'exercice d'avril 2012 à mars 2013.
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