Vincent Bonneau, IDATE : «L’Internet mobile reste utilisé par une minorité d’utilisateurs»

17 février 2009 à 12h07
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Société d'études de marché de référence en Europe dans le domaine des télécommunications, des médias et de l'Internet, l'IDATE profite de l'organisation du Mobile World Congress de Barcelone pour publier une étude intitulée « Services Internet Mobile, les conditions du décollage ». Entretien exclusif pour NetEco avec son auteur, Vincent Bonneau.

JB -Vincent Bonneau, bonjour. La conjugaison de nouveaux réseaux cellulaires à haut-débit, de terminaux multimédia et de forfaits illimités sonne t-elle enfin le décollage de l'internet mobile en Europe ?

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Vincent Bonneau
VB -Les évolutions technologiques de ces dernières années permettent en effet un plus grand confort dans l'usage de l'Internet mobile, facilitant de facto son utilisation. La couverture 3G, autorisant des débits comparables à ceux de l'entrée de gamme de l'ADSL, est désormais suffisamment étendue en Europe et aux Etats-Unis, avec plus de 70% de la population couverte. La 3G doit encore convaincre, puisqu'elle ne représente qu'entre 15 et 25% des abonnés mobiles en Europe.

Les terminaux mobiles ont aussi considérablement évolué. Une grande partie d'entre eux permettent de se connecter à Internet mobile et de gérer le multimédia, avec notamment les smartphones. De plus en plus de terminaux sont pensés pour l'Internet mobile, avec de plus grands écrans et une navigabilité plus simple, comme notamment (mais pas seulement) l'iPhone. Toutes ces améliorations ont abouti à de véritables offres d'Internet mobile, avec encore quelques défauts mais enfin réellement utilisables.

Le prix de l'Internet mobile est souvent considéré comme un obstacle majeur. Le manque de transparence des prix rebute bon nombre d'utilisateurs, effrayés de voir leur facture exploser. Comme sur le Web PC, le développement des forfaits illimités permet de lever ces freins. Les opérateurs mobiles en Europe ont donc multiplié ces initiatives depuis 2006.

Malgré l'engouement médiatique, l'Internet mobile reste utilisé par une minorité d'utilisateurs mobiles, essentiellement des utilisateurs professionnels et/ou des technophiles, en dehors des pays les plus avancés comme le Japon. L'Internet mobile devrait désormais se démocratiser dans les années à venir, sans toutefois pouvoir toucher totalement le grand public, avec près d'un tiers des souscriptions mobiles d'ici 2012 dans les pays occidentaux non asiatiques.

Les internautes mobiles actifs (i.e. se connectant au moins une fois par mois) ne représentent qu'entre 7 et 15% des souscriptions mobiles en Europe (avec en tête le Royaume-Uni et l'Italie). En 2012, avec une croissance annuelle de près de 30%, l'Europe devrait compter près de 163 millions d'internautes mobiles actifs, soit entre 20 et 30% du parc mobile ou encore entre 25 et 40% de la population (en raison de la sur-pénétration du mobile, atteignant jusqu'à 140% de pénétration).

Il s'agit donc bien d'un décollage, mais qui sera assez lent à se diffuser et qui ne devrait pas se généraliser dans les prochaines années au-delà d'une partie de la population (non négligeable), qui permet toutefois déjà de proposer certains services.

JB -L'Europe accuse un certain retard sur le Japon ou la Corée. Nos opérateurs ont ils eu tord de tant retarder l'arrivée des forfaits data illimités ? Ces forfaits sont ils encore trop coûteux pour les mobinautes ?

VB -L'Internet mobile a en effet su se développer très tôt en Asie, sans disposer nécessairement de toutes les technologies réseaux les plus avancées à l'époque. De multiples facteurs expliquent cette situation, comme notamment la tarification plus attractive des solutions d'Internet mobile de type i-mode par rapport à l'Internet sur PC.

Les niveaux de tarification sont encore très variables, le plus souvent entre 7 et 10 EUR par mois en Europe. Ces niveaux de prix restent toutefois encore élevés pour la plupart des utilisateurs, la majorité d'entre eux ne semblant pas disposés à dépenser plus de 5 EUR par mois.

Le marché semble par ailleurs de plus en plus s'orienter vers des bundles intégrés, comme sur le triple play fixe, pour les abonnés réalisant un montant minimum de dépenses mensuelles. Ceci permettra de maintenir à un niveau élevé les forfaits mobiles, sans rajouter de prix « visible » spécifique pour l'Internet mobile.

JB -Data, publicité, téléchargements, services, e-commerce... Quels seront les modèles économiques de l'internet mobile ? Qui en seront les grands bénéficiaires ?

VB -La publicité sur mobile est souvent mise en avant comme la principale source de revenus pour les acteurs du service. Le développement de ce marché va ainsi logiquement profiter aux leaders du Web. Mais d'autres modèles de revenus sont aussi envisageables.

La publicité mobile devrait profiter de l'adaptation des grands formats publicitaires média (bannière, interstitiel, vidéo) et hors-média (liens sponsorisés) venant du Web PC. De nouveaux formats sont par ailleurs en train de voir le jour (couponing, code-barres 2D...), en tirant parti des spécificités du mobile (capteurs embarqués, lien via SMS). Dans l'immédiat, l'inventaire et l'audience sont encore trop limités sur mobile. Les annonceurs, en dehors des éditeurs de contenus mobiles, hésitent à aller au-delà de tests avec des petits budgets. Le contexte technologique est par ailleurs relativement défavorable, du fait de créations spécifiques mobiles et d'outils de mesure de l'audience pas encore assez fiables. Le marché de la publicité mobile le plus avancé, le Japon, ne pèse donc que 500 millions EUR. Les revenus de la publicité sur Internet mobile n'atteindront que 1.4 milliard EUR en Europe et 1.5 milliard EUR aux Etats-Unis en 2012, soit moins de 10% du marché publicitaire Internet sur PC. Le Japon restera le marché le plus avancé, avec près de 2.3 milliards EUR. Les grands bénéficiaires devraient être les acteurs du Web et les opérateurs mobiles.

Certains services devraient toutefois être proposés de manière payante sur le mobile. C'était d'ailleurs le modèle dominant du Web mobile il y a encore deux ans. Ce modèle n'a pas réussi à se développer au delà des sonneries et logos, entraînant la plupart des acteurs vers le modèle publicitaire. Seuls quelques services semblent réellement pouvoir conserver un modèle payant (contenus et services habituellement payants, VoIP, services enrichis non disponibles sans mobile).

Le m-commerce, version mobile du e-commerce, n'en est qu'à ses balbutiements. La transposition du Web PC au Web mobile semble plutôt délicate, au delà de services d'alertes et de suivi de comptes, car le mobile est en concurrence avec les ordinateurs et les magasins physiques. Seuls quelques secteurs semblent réellement capables à moyen terme de se développer en commerce mobile, autour du contenu mobile et du mobile ticketing. Le mobile garde un potentiel intéressant sur les services de paiement en situation.

La plupart des acteurs sont bien conscients que le marché de l'Internet mobile (hors accès) ne sera pas un marché de masse avant plusieurs années. Les retombées directes, via essentiellement la publicité, vont en effet subir un effet de latence logique entre les usages, tout juste en train de se développer, et la monétisation.

JB -Le mobinaute aura t'il des besoins distincts de ceux des internautes ?

VB -En Europe, les services les plus utilisés sur Internet mobile sont d'abord la météo, loin devant les services d'informations, l'email et les services cartographiques. Les services bancaires sont aussi particulièrement développés. Les services de moteur de recherche et les services communautaires commencent tout juste à se développer. Les usages sont nettement plus développés auprès des utilisateurs disposant d'un terminal avancé/smartphone, notamment d'un iPhone, qui plébiscitent aux Etats-Unis les services mobiles YouTube, Google Maps et Gmail.

Le mobinaute devrait avoir des besoins différents de l'internaute. Toutefois, pour l'instant les services du Web mobile s'inspirent directement des services du Web PC pour promouvoir l'Internet mobile. Il s'agit en effet de faciliter les usages en attirant les utilisateurs autour de services déjà connus, via une logique d'extension de service plus d'ailleurs que comme une copie par un tiers de service existant.

Le marché de l'Internet mobile ne sera toutefois capable de devenir un marché grand public, en touchant plus du premier tiers de la population plus naturellement connectée, qu'en allant au-delà de la continuité de service avec des services purement mobiles. Il faudra alors tirer parti des spécificités intrinsèques du mobile (nomadisme, personnalisation accrue, rapidité d'accès). Les plus grands atouts du mobile viendront en fait des capteurs embarqués (caméra, localisation, RFID, accéléromètre) pour proposer des applications mobiles 2.0, sans aucun équivalent PC, rendant ainsi la solution totalement indispensable. Les premières solutions mises en œuvre permettent déjà des services innovants très attractifs.

JB -Les systèmes d'exploitation ou les kiosques de téléchargement d'applications se multiplient sur les mobiles. Pensez vous que le marché des smartphones aura un O.S. en position de monopole ou le logiciel restera t-il un élément de différenciation entre les constructeurs ?

VB -L'environnement logiciel s'appuie désormais de plus en plus sur des systèmes ouverts (voire open source autour de Linux, Android et plus récemment Symbian), facilitant les développements de tiers, augmentant ainsi considérablement le nombre d'applications disponibles. Cet environnement est de plus en plus fragmenté. Il semble assez peu probable de voir un OS en situation de monopole. Au vu des enjeux, on devrait continuer à voir de nombreux acteurs sur ce marché, dont les dynamiques sont d'ailleurs très différentes selon les zones géographiques.

Les développeurs doivent supporter des coûts importants pour porter une même application/service mobile en fonction de l'OS, du terminal, du middleware et des autres éléments logiciels (Flash). Ils arbitrent donc généralement en se limitant à quelques plateformes, celles comptabilisant beaucoup d'utilisateurs (différentes selon les pays) mais aussi les nouvelles plateformes les plus en vogue (iPhone, Android) qui attirent tous les nouveaux utilisateurs, et les plus attractifs en termes de monétisation. Les nombreuses initiatives technologiques des grands acteurs mobiles permettent plus d'ouverture, mais en même temps augmentent la fragmentation technologique de l'industrie.

A l'heure actuelle, le logiciel est donc un élément de différenciation entre les constructeurs, au moins autour du potentiel d'attractions de services et applications tiers mais aussi d'interface utilisateur.

JB -Des opérateurs comme Orange ou SFR cherchent à se différencier dans le logiciel, le matériel, les services ou la publicité. Pensez vous qu'ils y parviendront ? Quelle est la stratégie la plus réaliste pour eux ?

VB -Une différenciation sur ces différents aspects pris un à un n'est pas évidente, face aux spécialistes du secteur, notamment pour les services et logiciels, qui sont des industries très différentes de celles des télécoms. La promotion des services se fait encore souvent par le Web mobile et les plates-formes de téléchargement d'applications, dominés par les acteurs du Web et les spécialistes du logiciel.

Les opérateurs mobiles et les leaders du Web ne sont d'ailleurs plus en concurrence frontale et mettent au point de multiples alliances. Les opérateurs peuvent en effet profiter des services du Web fixe pour vendre les forfaits données. Certains ont même recours aux acteurs du Web pour leurs régies publicitaires mobiles (Vodafone et T-Mobile avec Yahoo! au Royaume-Uni). Les approches des opérateurs sont toutefois encore assez différentes entre opérateurs mobiles, allant d'Orange (services plutôt brandés Orange) jusqu'à T-Mobile (services très ouverts aux tiers) en passant par des logiques mixtes (de type Vodafone ou NTT DoCoMo).

En revanche, les opérateurs restent très bien placés pour proposer des services complexes combinant les aspects réseaux, matériels et logiciels, notamment les futurs services tirant parti des capteurs ou encore les outils pour les tiers (comme la mesure d'audience). Ils peuvent aussi jouer un rôle majeur de chef d'orchestre de l'écosystème.

JB -Vincent Bonneau, je vous remercie !

Pour découvrir l'étude complète de l'IDATE : www.idate.fr
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